C’est merveilleux. C’est affreux. Il n’est pas décidé.
Le picotement dans ses doigts, jusqu’aux os des phalanges, fait trembler le foyer du mégot bientôt éteint. Il y a le tiraillement qui gonfle son larynx, des mots bloqués et la sensation de suffocation, qui lui donne envie de caresser sa jugulaire pour en déloger l’émoi.



Il frotte ses biceps, le manteau en laine noir qui gratte, avec ses paumes ; mate en biais le carreau pété plus loin dans la ruelle. Personne. Pour le sortir de cet embarras encombrant ou exciter ses envies de brutalité. Soupir. Lourd, blanc, un ultime : je suis vivant dans le crépuscule hivernal.



Le cadavre de tabac étalé sous la semelle, Clarence pousse la porte de bois moisi au-dessus de laquelle l’enseigne jaune pisse clignote avec une sorte de ferveur sale. L’odeur de tabac froid le prend en grippes. Ses yeux, plus clairs que les quelques lampes à pétrole qui inondent la pièce d’un roux ambré, piquent et papillonnent sur une clientèle à la binche blanche et café noir. Maladroit, c’est en pas trop grands, les mains trop enfoncées dans les poches de son caban, le regard obsédé par l’irrégularité des rainures du parquet, que le louveteau trace droit sur le bar.



Tirant le tabouret à lui, un grincement irritant, il hoche brièvement la tête en direction de la teneuse. Un diabolo menthe. pas trop fort, toujours aussi honteux, ses lèvres frottent les mots dans un chuintement …S’il vous plaît. Enfin, ses pupilles remontent au-dessus du bar, jettent furtivement des coups d’œil dans toutes les directions. Parce qu’il est sûrement en retard, à avoir fait des simagrées en empaquetant rien de moins qu’un portefeuille, un jeu de clé et la dent d’un squale. A manquer, deux fois, la navette parce que la semelle de ces godasses, des Air Force plus blanches que ne le sera jamais ce quartier, refusait de décoller du quai.



C’est pas sa faute. Ah.
Qu’il déteste s’éloigner de lui. Que ce soir, comme toujours souvent, Clarence ne saura pas où il se trouve.
C’est ça qu’il va dire à son cousin. Jules. Il en revoit le visage môme. Des traits juvéniles et envoûtants et le crâne fourré d’idées chipie. D’enterrer les bonbecs dans le jardin familial en promettant de retourner les chercher dans dix ans. Et…
Un mince sourire déforme ses commissures, juste assez pour y rajouter la pointe de sérénité qui manque à toute ses expressions depuis qu’il a arrêté de boire.