C’était fou comme Kian avait le don de te détendre. Dès que tu t’emballais et t’enlisais dans des explications compliquées, il arrivait à t’extirper de là en une phrase ou un geste. Il n’avait pas l’air gêné de tes paroles maladroites, quand elles s’échappaient avant même que tu ne réfléchisses à ce que tu disais. Il te regardait avec douceur même si tu étais juste rouge et bégayant devant lui. Il fallait dire que ton date t’impressionnait, tu avais l’impression de ne pas jouer dans la même catégorie que lui. Il était beau comme un dieu, vivait loin de Brise-Cœur, il avait un métier dans lequel il s’épanouissait vraiment, il cherchait une relation sérieuse… Comment un mec comme lui pouvait s'intéresser à quelqu'un comme toi ? Tu n’aurais clairement jamais matché avec lui si Thaïs ne t’avait pas poussé à le faire. Pas parce qu’il ne t’attirait pas, bien sûr, mais parce que tu le trouvais clairement trop bien pour toi. Mais quand ses doigts frôlaient les tiens, sur la table de ce bar, tu oubliais un peu tes doutes, absorbé par le bleu de ses yeux. Vous iriez à votre rythme, te rassurait-il. Mais vu comme tu le bouffais des yeux, son rythme serait le tien, tu le savais déjà.

- Ah, le truc pour enlever les seins !

On voyait que la lumière se faisait dans ton esprit, maintenant que tu avais le sens de ce mot trop compliqué pour toi. Tu comprenais maintenant mieux pourquoi il n’avait pas eu mal en se faisant percer les tétons. Thaïs avait certainement dû déjà t’expliquer deux ou trois trucs sur la transidentité, mais tu n’écoutais pas vraiment la jeune fille quand elle se lançait dans des monologues sur ses grands combats. Déjà, parce qu’elle n’adaptait pas toujours ses mots à son interlocuteur, quand elle se lançait là-dedans, et que tu n’avais pas tout le vocabulaire militant te permettant de comprendre. Mais aussi parce qu’il lui arrivait parfois, en voulant se faire le porte-parole de toutes les luttes, d’éclipser les concernés. Elle ne le faisait pas exprès, bien sûr, c’était juste dans son caractère de bulldozer de tout écraser sur son passage en fonçant tête baissée se battre pour ce qu’elle pensait juste. Puis Thaïs parlait énormément aussi, elle te perdait vite, tout simplement.

- Tu n’aurais pas été surpris à cause de ta mésaventure, mais imagine si on avait tous les deux portés nos vraies tenues. Là, tu aurais été surpris.

Au final, c’est toi qui avait prêté ta veste au petit poisson, avant d’en avoir besoin à cause d’un accident de cocktail. Mais… Ça t’aurait grave plu, en y réfléchissant, de porter la veste de Kian en fin de soirée. Tu n’avais pas l’habitude qu’on te prête des vestes après des rendez-vous, tes anciens dates étaient bien moins galants. Tu aimais la niaiserie de Kian, vu qu’elle faisait fleurir sur ton visage un sourire tout aussi mièvre… Jusqu'à ce qu’il évoque Thaïs. Là, c’était un peu la douche froide.

- Oh bordel, tu la connais !

Toutes les connexions se firent dans ton esprit, alors que tu poussas un soupir, déjà fatigué par cette affaire. Pourquoi ton rendez-vous idyllique devait soudainement tourner au plan bourbier ? Non, parce que quand la grosse belette était dans l’équation, ça finissait toujours mal.

- C’est pour cela qu’elle voulait absolument que je match avec toi, quand elle a vu ton profil sur l’application. Je comprends mieux maintenant. Elle se fait chier depuis qu’elle a quitté sa meuf alors elle veut me foutre en couple pour vivre une romance par procuration, j’aurais dû m’en douter !

Tu l’aimais bien, ce petit poisson dragueur qui te faisait face. Il te taquinait avec quelques sous-entendus osés, il n’avait pas peur de te faire rougir et il prenait les devants tout en restant doux. Il prenait même le temps de t’expliquer les choses et n’avait pas l’air de trouver tes questions bêtes. Tu n’avais pas l’impression qu’il allait te jeter à la fin de soirée, comme le faisaient souvent tes autres dates. C’était donc comme cela que se passaient les rendez-vous avec quelqu'un de sérieux ? Ou Kian était juste une perle rare ? On t’avait toujours dit qu’il y avait d’autres poissons dans la mer, quand une de tes relations ne marchait pas, mais ce poisson-là, il te semblait unique. Tu n’avais pas envie de le laisser s’échapper hors de tes filets. Était-il celui qui allait réussir à te faire comprendre que l’amour n’était pas une cage dans laquelle tu allais te retrouver enfermé ?

C’était ce que tu étais en train de penser, avant que Thaïs ne déboule dans la conversation. La simple évocation de son prénom fit gronder en toi un agacement et une pointe de colère qui prirent le pas sur ton crush naissant. Tu aimais beaucoup Thaïs, c’était ta meilleure amie quand même. Mais cela t’énervait au plus au point, quand elle s'immisçait dans ta vie amoureuse. Quand la jeune fille se mêlait de tout, tu avais l’impression de ne plus avoir le contrôle sur toi-même. Tu voulais faire tes choix seul, suivre le chemin que tu voulais, celui qui te faisait vibrer. Pas celui qu’on te conseillait, pas la meilleure voie selon les autres. Certes, tu allais te planter dans la vie si tu n’écoutais personne, tu allais te prendre des murs en pleine face mais tu t’en foutais. Tu voulais être le seul maître de tes choix, même s’ils étaient mauvais. Tu préférais une vie que tu avais gâchée tout seul à une vie dictée par les autres. Tu vivais pour toi, Auxence, pas pour les autres… Et surtout pas pour ta mère. Tu n’aurais jamais le boulot stable, la maison, les enfants et le beau mariage qu’elle rêvait pour toi. C’était peut-être cela, qui te terrifiait dans l’amour, Auxence. Tu étais horrifié à l’idée qu’un jour, tu pourrais recopier le schéma familial dans lequel elle voulait te faire rentrer coûte que coûte.

Tu ne vis pas tout de suite le visage du garçon se décomposer, aveuglé par ta colère et tes peurs stupides. Vos mains ne se touchaient déjà plus et le sourire qui ornait son visage était beaucoup moins lumineux, plus faux. Ton regard accrocha le sien et tu t’affolas soudainement en te rendant compte qu’il était en train de partir. Merde, tu avais encore tout gâché Auxence. Tu en voulais un peu à Thaïs mais… Ce n’était pas vraiment elle, la responsable de ce date désastreux, n’est-ce pas ? C’était toi et tes peurs ridicules. Tout aurait pu bien se passer si tu n’avais pas tiqué à l’évocation de la jeune fille. Est-ce que tu voulais vraiment laisser partir Kian comme ça, sans rien avoir tenté ? D’un geste désespéré, tu attrapas son poignet alors qu’il était en train de quitter la table. Tu détournais le regard, penaud.

- Attends ! Je… C’est vrai, c’est pas moi qui ai matché avec toi, mais… Ça ne veut pas dire que tu ne me plais pas ! Je perds pas mon temps, avec toi ! Pas du tout, je te jure !

Tu te faisais de la peine, Auxence, quand tu t’entendais presque supplier Kian de continuer ce date avec toi. C’était lui qui perdait son temps à passer sa soirée avec un loser comme toi. Tu relâchas ta prise sur le garçon, le laissant partir s’il le souhaitait. Tu te sentais vraiment naze.

- Pardon, j’ai tout gâché. Je… Je comprends si t’as plus envie de passer la soirée avec moi.