Une sale journée pour la Milice. Caspian venait de laisser filer un suspect de taille dans une de leur affaire et avait ruminé sur sa mauvaise condition physique et son âme trop insignifiante pour battre un Anima guépard dans une course poursuite toute la journée. Et s’il était évident que personne de son équipe n’avait les compétences pour rattraper un tel animal, le jeune homme en faisait maintenant une affaire personnelle.
Echouer ne faisait pas parti de son vocabulaire.
Pas plus que dans celui de son père auquel il préférait ces derniers temps (ces dernières années) ne pas penser.
Une chaude douche rapide dans les petits locaux que la Milice utilisait à Babel, quelques pas dans les rues et le fennec semblait pourtant porter encore tous les problèmes du monde sur ses épaules.
Demains, il fera mieux demain.
Fort de cette nouvelle conviction qui il le sait, ne servira pas à le sortir totalement de sa mauvaise humeur, ses pas finirent par le mener tout droit vers le quartier Glendower. Loin de Lunapolis qui l’avait vu grandir, Caspian ne connaissait en réalité pas grand monde et pour quelqu’un d’aussi sociable que lui, devoir se limiter aux conversations de miliciens commençait à lui peser sur le moral. Il avait décidemment bien trop hâte de rentrer chez lui, taquiner Alexis, ignorer son père et éviter son pot de colle de frère.
Et s’il ne l’avouerait pour rien au monde (ah la fierté Matkovic !), il n’y avait bien qu’Alysse pour le distraire assez. Déjà, la fine ouïe du fennec entre en jeu. Plus besoin d’ouvrir les yeux, Caspian n’avait plus qu’à suivre la lourde musique rock pour se repérer s’il l’avait voulu.

Mais déjà, il regrettait d’être venu.
Grimace. Grimace qui ne fit que s’accentuer en ouvrant la porte du « sorry Mom ». Les Dragons de komodo avait peut-être une ouïe peu développée, mais le fennec lui, refusait de se faire crever ses précieux tympans par la guitare endiablée d’un rockeur fou. A l’odeur de désinfectant remplissant la pièce, il se doutait bien que la jeune femme comptait fermer dans peu de temps.
Bien, elle se ferait alors une joie de le mettre à la porte.

« Par pitié Alysse baisse le son ! »

Sa propre voix lui donnait mal à la tête. Pauvre petit prince en train de grimacer, préférant ignorer la réplique sur son futur tatouage.
Jamais, jamais jamais.
Attrape d’une main rapide la sucrerie qu’on lui tend, ah pour ça il ne dit certainement pas non. Déballant la sucette, il ne prend même pas la peine de relever la tête en répondant.
« Une Seth c’est déjà suffisant, pas la peine d’en rajouter une deuxième… »

Heureusement, Lily n’était certainement pas aussi piquante que sa dangereuse sœur.
Caspian prend son temps, observe les alentours qu’il connait déjà si bien avant de retourner une chaise pour s’y asseoir, faisant comme s’il était chez lui, dégustant sa sucrerie.

« C’est bien triste mais figure toi que je ne connais pas grand monde en ville. A part toi. Et mon royal cul s’ennui un peu, je l’avoue… Mais fais comme si je n’étais pas là, continue de nettoyer ça m’a l’air passionnant. »

Un petit sourire narquois bien qu’à vrai dire, Caspian était le premier à râler contre la saleté, faisant des produits ménagers ses armes privilégier.

Un soupir de soulagement quand les lieux deviennent calmes ; quand le tonnerre se calme et laisse place à l’ouragan Alysse. Ses pauvres oreilles n’en auraient pas supporté bien plus. Et s’il était effectivement en présence de la meilleure des deux jumelles, ça jamais il ne le lui avouerait.
Le milicien pouvait avoir sa fierté mal placée.
Offre à son amie un merveilleux sourire ; celui de l’ange aux malicieuses pensées, celui de l’enfant gâté que tous ont appris à aimer. Le sourire hypocrite qui lui vient aussi naturellement qu’un grondement ; seconde peau comme on s’ornerait d’un masque.

« Alysse avoue le… je suis ton milicien préféré ! »

Sourit un peu plus. Et si ce n’était pas le cas, il ne s’en formaliserait pas tant que ça.
Caspian croque la sucette et le sourire finit par disparaitre. Elle commençait à avoir un goût étrange. La recracher tout de suite ? Oh non le blond avait tout de même des manières.
Il éclate de rire au commentaire du reptile. Elle ne mâchait certainement pas ses mots et c’est principalement pour ça qu’il l’appréciait.

« Ah c’est pour ça que je suis venu !! T’entendre m’insulter avec tant de classe. Mon moment préféré. »

Clin d’œil, il n’allait pas se vexer pour si peu et connaissant Alysse, ce n’était là que le début de la tempête.
Manquant de justesse de laisser filer le désinfectant, Caspian se lève et s’arme également d’un chiffon trainant sur le bureau. Si Alysse comptait sur cette activité pour en faire une punition, elle allait être surprise.
S’approchant d’une petite table, une pluie de désinfectant vient faire son travail.

« Tu sais je suis le roi du ménage chez moi. Si tu devais y passer un jour, tu remarquerais que pas une seule poussière ne traine. »

Et il en était plutôt fier. Haussement d’épaule sans prendre la peine de regarder son ami, lui-même trop occupé à frotter la table. Le nettoyage, il le faisait toujours à fond.
Un peu comme tout ce qu’il entreprenait.
Réussir ou échouer.
Gagner ou perdre.
Vaincre ou périr.
Caspian aurait détesté périr, mais bien plus d’échouer.
Remarquant une vilaine trace de poussière là ou Alysse semblait déjà être passée, il ne peut retenir un claquement de langue agacé et un regard noir pour la propriétaire des lieux alors qu’elle avait le dos tourné.
Mâchonnant toujours ses morceaux de bonbons, le fennec s’arrête immédiatement, chiffon en l’air en entendant les paroles suivantes. Du piment ? Et comme si la sucrerie n’attendait que ça, sa bouche commença à s’embraser. Devenu rouge, Caspian n’eut que quelques secondes pour atteindre la poubelle et tout recracher, relevant la tête avec hargne.

« Putain mais c’est dégeu !! Ça pique ton truc ! » Il avait envie de se frotter la langue jusqu’à en arracher le terrible goût. « Je te hais tellement en ce moment même… bon sang t’as pas de l’eau ? » Est-ce qu’il fallait boire de l’eau ? Il n’en était pas vraiment sûr mais n’aurait certainement rien d’autre sous la main.
Un doigt rageur pointé dans la direction de la tatoueuse, il promet sa vengeance.

« Ma vengeance sera terrible, TERRIBLE. Je ne promets pas que ton salon existe encore demain matin. »

Et parce que cette sucrerie était devenue vraiment dégeu, il grimace encore.
« Ou des cafards dans ton lit oui…  et dire que j’étais venu en paix… »
Là tout de suite, il la détestait.

Le seul qu’elle tolère, Caspian lui tire la langue en guise de réponse, brisant en une seconde son air de milicien trop strict ; Alysse avait le don de faire ressortir le pire chez lui. L’idée d’être toléré quand la jumelle ne l’était pas lui faisait pourtant étonnement plaisir. Ainsi n’était-il pas le seul à ne plus pouvoir supporter sa propre famille.

Et il frotte, frotte une tâche comme si sa vie en dépendait – peut-être est-ce le cas ? Caspian n’aime pas la poussière, les grains de sable dans le rouage ; la tâche sur son parcours, sa vie. Et lui ? Il est sans aucun doute la tâche de quelqu’un d’autre, à commencer par son propre père. Son propre frère. Un petit ricanement, il secoue la tête.

« Tu me payes combien ? Quelqu’un comme moi, ça vaut de l’or. »

Il ne le pense pas une seule seconde mais après tout, c’est vrai qu’il est bon pour faire le ménage ; excellent d’après Alexis.

Satanée vipère, démon du salon ; la tatoueuse mériterait en ce moment même qu’il la raye de son cercle proche. La bouche en feu et la corbeille à ses pieds, le fennec n’en mène pourtant pas large, la fusillant du regard.
Ris donc petit dragon,
Ris donc.
La joue tirée comme un enfant, il fait la moue.

« Et toi tu tiendrais pas un foutu jour dans la Milice ! Je ne touche plus à rien dans ce salon. »

Il lève brusquement les bras en l’air, comme si l’atmosphère elle-même pouvait lui brûler les doigts avant de s’avancer, lueur sournoise au fond des yeux.

« Du lait ça me va. »

Et sans prévenir, il se penche brusquement, attrape son amie par les jambes et la balance sur son épaule comme un sac à patate. Autant que les muscles de milicien qu’elle critique tant servent à quelque chose.

« Eh bien laissons donc les méchants cafards squatter ton appart et boire tout ton lait. »

La bouche encore en feu, il ne peut néanmoins s’empêcher de sourire de toute ses dents, s’avançant dans l’arrière-boutique pour emprunter l’escalier.
S’approchant peut-être un peu trop d’un mur dans un virage brusque. Oups la tête.

« Oups pardon. Mais t’as la tête dure non ? Avec pas grand-chose dedans mais je t’aime bien quand même. »

N’empêche qu’il lui fallait toujours du lait.

Drôle oui, Caspian est hilarant et la tatoueuse finirait bien par sincèrement le penser. Faire briller les surfaces, il adore. Mais travailler gratuitement pour le simple plaisir d’avoir la charmante compagnie du lézard le plus énervant de l’île ? Non merci, Alysse n’avait décidemment rien de charmant. Aussi laissa-t-il trainer son chiffon sans répondre aux belles et tranchantes paroles, se contentant d’un grand sourire amusé. L’autre n’aurait qu’à employer une femme de ménage.

Et ce rire qui résonne en fond, ce sourire qui ne tombe jamais. Alysse se fout bien de sa gueule et la fierté du fennec en prend un coup. Heureusement, avec le varan les choses lui paraissaient toujours dérisoires par rapport au reste du monde, si bien qu’il se mit à son tour à sourire légèrement ; tentant vainement de garder son air sérieux et colérique en place pour continuer de la fusiller du regard.

Et lorsque son amie est soulevée comme un sac à patate, il ne peut cette fois empêcher un éclat de rire. Très fier de lui. Alysse à beau gigoter dans tous les ans, Caspian est un chêne : inébranlable. Grimace invisible pour l’autre quand un coup vient lui frapper le dos. Aïe. Foutu dragon de komodo.

« Laisse tomber je vais trouver ta cachette et balancer toutes ses horribles sucettes tueuses dans le lac. »

Oui, il fallait définitivement mettre un terme à ce massacre. Qui sait de quoi le reptile serait capable la prochaine fois ?
Alysse ne bouge plus ? Parfait. Une bosse sur son joli crâne tout vert et Caspian dormira bien cette nuit.
Et même que-

« -PUTAIN ! »

Le plafond était trop bas. Voilà le milicien qui se frotte rapidement le front, grimace de douleur. Voilà pourquoi cette peste d’Alysse était aussi silencieuse.
Démon.
Il marmonne un peu de sa barbe, intérieurement assez content que l’autre ne puisse pas voir sa tête en cet instant. Avant de reprendre sa route et d’atteindre finalement le haut des escaliers, non sans s’être un peu baissé pour y arriver.
Un regard pour observer les alentours, le pauvre varan toujours dans son dos. Effectivement, ce n’était pas bien rangé et le cerveau légèrement maniaque de Caspian ne put s’empêcher de grimacer d’horreur.

Sans faire de commentaire (il tenait trop à sa vie), il se mit à enjamber paires de chaussures et vestes, trébuchant presque sur un objet non identifié qui lui fit froncer les sourcils.
Ça n’allait pas du tout. Pas du tout du tout.
Mais chaque chose en son temps et le blond avait un chargement qui commençait à peser lourd. Se penchant sur le canapé, il fit basculer rapidement la pauvre Alysse qui s’affala comme un sac.

« T’as une bosse ? J’espère que oui. Tiens un bisou magique de vilain milicien. »

Et avant de se relever totalement, il planta un gros bisou baveux sur le crâne du varan, avant de se marrer en prenant rapidement la direction de la cuisine (il n’avait décidemment pas envie de se faire frapper en retour).

« Du lait !! »

Et effectivement, il en trouva une brique dans le réfrigérateur. Sa bouche en feu était pourtant presque oubliée, mais pour la forme le milicien voulait son verre de lait. Qu’il bu après avoir choppé un verre propre près de l’évier.
Un regard vers la table, soupire de frustration. Il pleurait probablement du sang à force de voir tout ce bazar.

« Alysse je crois qu’on a un problème -à part toi je veux dire. » Ok, il lui fallait prendre les choses en main. Il revint rapidement dans le salon, verre de lait à moitié vidé à la main. Un air absolument sérieux sur le visage. « J’ai envie de me tirer une balle rien qu’en voyant ton appart’. En fait je crois que je vais vomir… »

Bon, peut-être en faisait-il un peu trop.

« On va ranger ça. »

Ce n’est pas une question, c’est un ordre. Déjà, le milicien finit son verre et rebrousse ses manches.
Il allait devoir laisser parler la parfaite fée du logis en lui.

Un sac à patate léger mais diablement bavard. Ah voilà que le varan recommençait à se plaindre ! Alysse était ainsi, peste et adorable. Levant les yeux au ciel il ignora le commentaire pour savourer le lait, la brulure du piment commençant petit à petit à s’estomper.
Sursaut quand les glaçons viennent percuter sa bosse.

« Aïe prévient avant ! »

Ronchonnant, il attrape précipitamment le torchon pour le tenir plaqué contre son crâne. Voilà qui était bien mieux. L’antre de la tatoueuse était décidemment un vrai terrain miné, qui sait ce qu’il se blesserait ensuite ? Aucun doute, le milicien aurait mieux fait de simplement lui faire un petit coucou depuis la vitrine, elle ne se serait alors pas senti obligé de l’empoisonner avec ses sucettes, en profitant pour tenter de lui ouvrir le crâne.
Un vrai démon.
Un vrai démon pas doué pour le ménage, c’est certain.
Froncement de sourcil.

« Soit rassurée, si je vomis ça sera sur toi. »

Et comme il n’a pas spécialement envie de parler de système digestif défaillant et de ce qu’il pourrait bien régurgiter, il s’empare à son tour d’un t-shirt trainant par-là, le levant devant lui sans savoir quoi en faire. Et le regard ahurit qu’on lui lance lui fait lever un sourcil ? Et bien quoi ? Caspian aime le ménage, Caspian aime classer les choses, ordonner les dossiers, est-ce donc si invraisemblable ? Alors oui, il n’avait bien que ça à faire. Tout sourire, il accepte le remerciement prononcé du bout de la langue d’un hochement de tête, sachant qu’il n’aura guère droit à plus mais ça lui suffit.
L’entrée donc. Balançant le t-shirt à la figure de son amie - il ne savait honnêtement pas ou ranger ça - il suivit les ordres en ricanant un peu.

« Oui chef ! »

S’asseyant en tailleur à l’entrée, il amena à lui plusieurs chaussures, dont aucune pour former une paire ; ça commençait bien.
Malheureusement pour lui ou heureusement pour Alysse, il était inenvisageable pour le fennec de tout ranger en bordel. Par les âmes, il préférait s’arracher un œil que d’avoir à montrer un résultat chaotique. Il rangerait impeccablement ou pas du tout.
Ah, une paire ! Qui trouva vite sa place dans le meuble avant qu’il ne relève la tête, soudain prit d’un doute.

« Dis… j’vais pas tomber sur des trucs louches hein ? Je préférerai être au courant avant de me rendre compte que tu collectionnes les culottes roses. Parce que ça ne m’intéresse pas du tout. »

Il n’aimait que le noir de toute façon, sans surprise vu son look vestimentaire. Mais bon, mieux valait poser la question…