La fin de la semaine oblige, c’est le moment des festivités. La bonne humeur rejoint les sourires, ils sont attirés encore par ces mêmes fauteuils dans lesquels elle pourra se lover avec pour compagnie l’inconnu.e : une âme qu’elle délaissera après les belles paroles joliment aiguisées. Alors qu’elle avance dans le bar, elle jette un coup d’œil pour identifier quelle proie va t-elle se mettre à chasser. Elle hésite, il y a peut-être cette jolie fille aux cheveux nacrés qui attend l’heure du karaoké pour chanter. Il y a aussi son amie qu’elle s’est déjà entêtée à charmer qui la regarde avec une œillade à la fois douce mais amère : les fausses promesses et les beaux mensonges à découvert.

Médusée pendant quelques secondes, elle sort de ses pensées, écoute les propos de Kian si soudainement déterminé. Elle songe de nouveau à ses propos, à cette envie de changer, de faire partie de la vie de quartier : à cette colère enfouie dans les abysses qui brûle ses pensées. A ces pêcheurs qui font fleurir les chrysanthèmes à côté de l’oreiller. La mâchoire de la rascasse se referme : il n’est plus question de faire semblant. Elle observe Ash, sa bande, son joli minois, elle décide de changer de proie. Gagner l’affection du narval compte peut-être plus que de jouer à la mauvaise foi.

- J’aime bien quand tu es comme ça. C’est parti.

Elle est déterminée et suit Kian qui étrangement parle le premier. Dire qu’elle avait une nouvelle à lui annoncer… Cela attendra, car il est inscrit aux Olympiades pour la prochaine année. Sa grande sœur l’a contactée pour lui donner quelques informations pour formaliser son inscription. Carmine, elle aime découvrir sa détermination, il a tout pour réussir malgré ses doutes. Elle suit ce dernier et complète ses phrases, les iris dorés à la recherche d’une forme de victoire. Si elle n’obtient pas l’or, elle a encore une chance de forcer ce hasard.

- Moi c’est Carmine.

Carmine Rilke, sportive, en gros plan sur les publicités. Elle ne sait plus si elle doit encore se présenter ou si les rumeurs continuent de la poursuivre dans le quartier.

- On voudrait discuter de l’avenir du quartier Maintes-Eaux.

C’est Ash qui tient les rennes, il paraît.

Le sourire fleurit sur les lippes, la célébrité : théorème gracile que la rascasse connaît, mais elle ne gagne pas les mêmes florilèges et les mêmes trophées. Carmine, elle a les vêtement de marque, les sponsors qui lui offrent des tenues, des produits. Même si elle est habituée à ces fauteuils émeraudes, Carmine n’a pas gagné encore les faveurs du propriétaire. Alors elle accepte, se résout, range un peu de fierté pour accepter le verre.

- Je vais prendre une chambre noire.

Carmine, elle écoute Kian, elle observe les alliés d’Ash, toujours son charmant sourire gravé sur les lèvres. Ils en ont parlé, pour la première fois, des bateaux, des branchies, des nageoires : du sort de ce joli quartier. Entre poissons, elle sait qu'ils peuvent s'entraider, mais elle se méfie du regard des comparses et compères du narval, car ils ont probablement tous une importance, un rôle à jouer dans l’engrenage décisif de l’impératrice des abysses. La rascasse ne va pourtant pas lâcher les paroles au goût étrange de vérité.

- Non, c’était bien ça. Nous voudrions un plus bel avenir pour ce quartier. Çà fait des années que je vis ici et j’aimerais bien que l’on admire enfin Maintes-Eaux pour ce qu’elle est vraiment.

Elle ne sait plus si elle parle d’elle même, ou peut-être de cette étendue d’eau que les animas marins ont l’habitude de côtoyer. Son unique main agrippe le bord de la table, elle ne compte rien lâcher, la détermination comme principal moteur de son engrenage.

- Alors si on peut t’aider, si on peut te soutenir, si on peut faire quelque chose… On le fera.

Carmine, elle n’aime pas les rires du poisson-chat. Elle fronce les sourcils en le regardant. Si elle est venue jusqu’ici, ce n’est pas pour se laisser traîner dans la vase. Alors elle suit le même courant qu’Ash.

- Alors on va continuer d’accepter les accidents venant des bateaux du port sans rechigner ? On va continuer de n’être rien qu’un petit coin touristique sympa pour l’été ? J’ai quand même un peu plus d’espoir pour ce « petit » quartier sous-marin et je pense que vous aussi.

Une épine de colère, le prince charmant s’est rangé. Il n’y a plus qu’un ardent chevalier qui affute la lame de ses mots pour trancher la gorge d’un dragon afin d’étendre un empire. Carmine, elle aurait pu faire semblant, s’aligner, caresser à son habitude, mais elle laisse s’égouter l’écume rougâtre de sa vérité. A ce moment précis, le double jeu n’a plus d’intérêt. La rascasse fait tourner dans le verre la marrée noire pour un peu l'aspirer.

- Je ne sais pas ce que pense Kian de cet aspect là. Nous n’avions pas parlé de tout, mais je suis plutôt ok avec lui. Je ne parle pas d’aller mettre une fessée aux chefs de maison. On risquerait de se les mettre à dos, ça ne risque pas de nous aider dans la finalité.

Ne plus participer aux Olympiades ? Ce n’est pas ce qu’elle estime être une solution. Carmine, elle s’est battue de longues années pour pouvoir s’afficher à la télévision. Son rêve d’enfance, elle ne le supprimera pas si facilement, elle n’a même pas encore dépasser le pallier d’argent. Alors elle n'ira pas les provoquer, Carmine se doute bien que leurs pouvoirs pourraient les faire enfermer.

- Mais... Il faut les faire regretter. Il faut leur faire changer d’avis. Il faut gonfler ce petit muscle qu’est Maintes-Eaux à leur yeux. Il faut leur montrer qu’ils se trompent et qu’ils la sous-estiment. Ils ont l’air, on a toutes les profondeurs marines. En gros, il faut valoriser le quartier pour en faire quelque chose de plus puissant.

Carmine, elle connaît bien ce discours. C’est ce qu’elle a fait avec elle même. Elle n’était que ce petit poisson chétif attrophié, mais elle s’est batue dans les abysses pour se faire un nom, une identitié, pour construire une force. Alors la rascasse se gratte le crâne, elle cherche une idée pour forger un empire où ranger sa fierté.