haklyone
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Ever higher, ever further ◇ ft. Ephraïm



 
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Ever higher, ever further ◇ ft. Ephraïm
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Andréa Su
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Andréa Su
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Dim 16 Juil - 21:35
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La nouvelle n’avait pas pû lui échapper, pas au vu de la trace, émoussée par les années mais jamais totalement effacée, qu’avait laissé Uriel Kurusu sur la Milice. Elle s’était répandue comme une traînée de poussière au sein de la tour gémeau, rumeur à peine chuchotée devenue exclamation d'ici à ce qu'elle parvienne jusqu'à son bureau.

Curieusement, ce sont les doigts fraîchement pansés de sparadraps enfantins, les yeux rougis et la douleur difficilement ravalée du cadet Kurusu faisant de son mieux pour rassembler les morceaux et ne rien laisser paraître qui lui apparaît en premier lorsque l’information lui est transmise.
Pas les lèvres pâles qu’il fixait pour ne pas avoir à affronter les yeux, même clos, de celui qui gît dans ce lit médicalisé depuis des années.

Gisait ?

Andréa ne sait ce qu’il doit ressentir; s’il doit être soulagé ou s’inquiéter. La nouvelle semble irréelle, annoncée sur le pas de la porte de son bureau par l’un de ses anciens collègues devenu subalterne, puis presque aussi vite oubliée dans les devoirs de la journée, revenant en bruit de couloir puis à nouveau noyée sous ses responsabilités. C’est ce qu’il aime usuellement, être si occupé qu’il ne s’entend pas penser, mais là, ça l’empêche de la digérer, de se poser et de questionner ce qu’elle vient charrier, à part le visage d’un presque mort qu’il a volontairement laissé le hanter toutes ces années. Elle reste là, sur son estomac, bien après que le soleil n’ait fini sa course dans le ciel, l’écran de son téléphone cellulaire lui faisant plisser les yeux dans la pénombre de la mezzanine.

Même en relisant le dernier message du jeune homme dont il n’avait pas mesuré l’importance la veille, il n’arrive pas à déchiffrer le sentiment qui commence à se faisander, éteint l’écran qu’il ne regarde habituellement jamais une fois couché et pose l’appareil à ses côtés, dans le nid de duvet et d'oreiller qui rend ce lit devenu trop grand un peu moins oppressant.
Ce sera son bouc-émissaire, la raison pour laquelle il se dira qu’il n’arrivait pas à trouver le sommeil cette nuit-là.

.
.
.

Même à cette époque de l’année, le pied du Mont Hurleur reste agréablement frais, le soulage de la chaleur étouffante s’accumulant dans les rues bétonnées de la capitale; depuis qu’il avait perdu l’excuse d’un week-end fugace entre amoureux, il ne s’était plus que rarement échappé de la grande ville en dehors du travail, ne se rendant à Arc-en-terre presque plus que pour ses visites saisonnières à la maison Kurusu.
Celles-ci aussi prenaient certainement fin dès à présent.

(elle est toujours là, au fond de son estomac)(comme une pierre)(incompréhensible)(insensée)

Le fond de l’air trahit la présence de celui qu’il vient retrouver ici, sac d’escalade flambant neuf et coupe-vent élimé sur le dos, son matériel soigneusement empaqueté la veille le gardant ancré dans son corps. Son jour de congé a cessé de se faire désirer dès lorsque la nouvelle est tombée, l’appréhension ayant remplacé l’impatience puérile qui l’avait animée à l’idée d’enfin s’affronter à de vraies parois escarpées. Elle s'envenime dans ses entrailles en arrivant à la hauteur du noiraud, mais seul son sourire mainte fois pratiqué transparaît sur son visage. “Nous y voilà donc, Ephraïm.” Sa voix est claire, méticuleusement maîtrisée, alors que dans son esprit se bousculent milles et une questions; il cueille la plus importante de la masse, celle qui brûle d’une inquiétude qui ne sera jamais exprimée par son ton placide. “Comment vous sentez-vous ?”

Car c’est pour l’aider à garder son sang-froid qu’il est là; c’est son devoir, sa promesse au jeune Kurusu. Ses propres états-d’âmes n’ont pas lieu d’encombrer leur conversation, pas maintenant, pas dans un moment aussi critique.

Même s’il n’y croit pas.
Pas encore.
(c’est de la peur, n’est-ce pas ?)
(mais pourquoi ?)

(sans importance.)
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Ephraïm Kurusu
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Ephraïm Kurusu
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Jeu 20 Juil - 10:24
Uriel s’est réveillé.

Cette fois, ce n’est pas un rêve, cette fois, ce n’est pas dans sa tête. Ses paupières se sont soulevées, sa voix, s’est arrachée, son pouce l’a caressé. Cela fait quelques jours, à moins que ce ne soit quelques semaines ? Le temps a défilé, sans qu’Ephraïm ne prenne même le temps d’y penser. C’est son père qui l’a traîné, pour un arrêt de quelques temps, pour profiter du moment, car Ephraïm, clairement, n’aurait pas eu la tête à travailler.

Si la colère explosait, aujourd’hui, c’est une joie nouvelle qui l’embrase. Ephraïm, il a parcouru l’île de part et d’autres, il a couru de partout, il s’est jeté dans les bras, il a crié dans le temple, il s’est jeté dans l’océan. Aucune résistance n’a réussi à le freiner, aucune règle n’a su le museler, aucun regard n’a su l’arrêter.

Il n’a pas vraiment vu les jours défiler, il ne se souvient plus vraiment, de tout ce qu’il s’est passé.

Jusqu’au moment où les bras de son frère se sont refermés sur son corps, qu’il l’a plaqué contre son torse, alors, haletant, épuisé, Ephraïm s’est enfin apaisé. Il s’est pelotonné, le corps encore ébranlé de spasme et l’écume aux lèvres, les yeux noyés, il a glissé ses bras autour de sa taille si maigre, il l’a broyé, l’a serré, l’a enlacé, de toutes ses forces, jusqu’à sombrer. Il s’est endormi, blotti contre son ventre, à genoux face à lui.

L’ivresse ne l’abandonne pas. Bien que le SMS qu’il ait envoyé à Andrea, eut été factuel, les quelques mots incapables d’exprimer, de porter, le poids que tout son corps peine à exprimer. Une simple succession de lettres dénuée de voix, - Êtes vous disponible mardi prochain ? On peut se rejoindre en bas du mont hurleur, 9 h, j’ai quelque chose à vous dire -, ces mots, Ephraïm les a envoyés sans vraiment réfléchir, avant de sauter sur son lit, jaillir dans les escaliers, bondir dans la chambre de son frère, rire en se renversant sur son lit.

Les nuits sont courtes, Ephraïm ne veut gaspiller plus aucune seconde. Les passe à dormir près de son frère, à l’écouter, à déjà dire, tout ce qu’ils feront ! On ira à l’océan, on ira se baigner, on ira manger, plein de bonnes choses dehors, on ira prier, on ira voir, voir tous ces gens qui sont venus, on ira, les prévenir, les remercier, on ira, on ira, combien même, il faudra du temps à Uriel, Ephraïm s’en fiche, car c’est du futur, et non plus du conditionnel.

Et quand vient mardi, le sac énorme s’écrase sur ses épaules, Ephraïm ne sent pas son poids. Il ouvre la porte, d’une chambre plongée dans l’obscurité, s’engouffre et empressé, se penche pour embrasser le front de son frère, le geste est brutal et maladroit, il s’en rend compte, quand il sent l’impact contre ses lèvres. Mais Uriel répond d’un grognement satisfait, sa main effleure son épaule, “Amuse toi bien, Ephraïm”, ou quelque chose du genre, Ephraïm répond, il ne sait plus quoi, il court déjà.

La pente rejoignant le temple est engloutie par ses pas empressés. Les cheveux au vent, le nez dressé, le sac bien plaqué contre son dos, l’effort contracte ses flancs, son souffle rauque s’arrache de ses lèvres, c’est tout ce qu’il aime. Se sentir vivant. Presser, tirer, forcer sur les muscles, l’air brûlant alimente la machine, le sang bouillant, embrase ses veines, il est déjà en sueurs, le dos ruisselant. Mais l’équidé est connu pour son endurance.

La silhouette familière du Mont Hurleur se dresse. Son vent frais s’engouffre dans ses vêtements, chatouille ses côtes, Ephraïm retient un rire, lorsqu’il bondit de rochers en rochers, pour traverser une rigole d’eau. Elle pétille, sous les éclats du soleil. La terre battue, laisse progressivement place à des sentiers tracés, qui s’égarent au travers des champs de fleurs, des prairies ponctuées de rochers, racines d’une montagne qui bientôt, dévoilent ses flancs gris parcourus de blanc. Les défauts de la pierre, seront bientôt des prises à gravir et Ephraïm sourit de toutes ses dents, face au mur d’escalade qui les attend.

On arrive, pense-t-il en cavalant. On arrive !

Andréa est là, à quelques mètres, la distance se réduit, à toute vitesse. Et c’est seulement en entendant son nom, qu’Ephraïm freine des 4 fers : trop tard. Son corps percute celui du grand capitaine, avec la puissance d’une vague, qui s’écrase sur les rochers. Ses bras vifs, nerveux, entourent puissamment la taille d’Andréa alors que le jeune homme campe ses talons dans le sol. D’une force herculéenne, il arrive à soulever le géant hors de terre, emporté par l’élan, il le fait tourner, le repose à terre, il y a eu plus de peur que de mal.

Tremblant d’excitation, il relâche Andréa pour qu’il repose ses pieds à terre, ses mains s’emparent de ses bras et Ephraïm lève, lève les yeux pour le regarder.

Ses yeux sont rougis par les larmes qu’il a versées, mais leur bleu, est un océan céleste. Les lèvres traversent son visage, d’un sourire radieux. Ephraïm est resplendissant. Eblouissant. Car la joie a éclaté ses sourcils froncés, la joie s’étire sur ses lippes, la joie est de partout, même dans ses narines qui frémissent, dans cette étreinte qu’il offre une fois encore, oui, il le serre contre lui, écrase sa tête contre son torse.

_ Uriel s’est réveillé !

Il crie, sans s’en rendre compte, il ne le sent que lorsque l’air lui manque.

_ C’est ! C’est c’que je voulais vous dire, Uriel, Uriel il s’est réveillé seulement quelques jours après votre visite !

Il se ressaisit, relâche Andréa en rougissant un peu, recule de deux pas en réhaussant son sac sur son dos.

_ Il va bien, il parle, il est avec nous ! Il va commencer la rééducation, et vous savez, hier on a même bu un milkshake à la fraise tous les deux !

Il parle, les mots s’échappent, ça aide, à ce que la pression retombe un peu, à ce qu’il s’apaise, assez pour que ses épaules se relâchent. Il reprend son souffle, il ne se rend compte que maintenant, qu’il était essoufflé.

_ Je suis tellement heureux… Merci d’être venu ! D’être venu le voir, d’être venu nous voir tous les deux ! Je lui ai dit que vous étiez passé, vous reviendrez ? On pourra se faire un repas tous ensemble !

Propose-t-il. Son torse se soulève rapidement, il le sent à cause du sac qui tire sur ses muscles, alors il essaye de ralentir le rythme de sa respiration, il sent ses muscles le tirer un peu, il doit boire. Il dépose le sac au sol, l’ouvre pour en extirper une gourde en inox. Décorée de quelques cupcakes et étoiles. Il boit plusieurs gorgées d’eau, s’essuie les lèvres du dos de la main, la propose à Andréa.

_ Et vous, comment est-ce que vous allez ?

Puis il réalise. Ses yeux s’écarquillent.

_ Euh. Désolé au fait. De vous être rentré dedans. Et euh. Pour vous avoir pris dans mes bras sans demander l’autorisation. Je… Je me suis emporté…

Et le rouge s’étire sur ses joues, gagne ses oreilles, la honte, le malaise, lui font détourner les prunelles dans une moue bougonne.

_ Dire que je pensais… que j’avais juste du mal à contrôler ma colère…

Il soupire, ennuyé, gratte l’arrière de son crâne.

_ Mais je suis heureux de vous voir et… et je tenais à vous l’annoncer moi-même, de vive voix.

Parce qu’il pense, que c’est grâce à lui et aux prières d’Anfel, qu’Uriel s’est réveillé.


Ephraïm Kurusu
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Andréa Su
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Dim 23 Juil - 23:51
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Imperturbable, le vautour le reste jusqu’à la dernière seconde, persuadé que le jeune homme filant comme un éclair s’arrêterait en arrivant à sa hauteur. Après tout, même lorsqu’il tente de se faire chaleureux, son austérité naturelle garde quiconque n’appartient à sa famille à bonne distance.

Cette distance insupportable, il y est si habitué que la surprise, plus encore que le choc, lui coupe le souffle au moment de la collision. Elle neutralise ses réflexes, lui qui ne connaît ce genre de proximité plus que dans le feu de l’action, l’empêchant fort heureusement de saisir le noiraud et le paralyser au sol dans une clef de bras. A la place, c’est lui qui se retrouve prisonnier de l’emprise d’un autre, et s’il n’a pas laissé échappé un cri au moment de l’impacte, sentir ses pieds se soulever en même temps que son estomac réussi à lui soutirer un couinement mal-assuré alors que le pur sang l’entraîne dans sa pirouette avec une aisance qui enflamme ses joues.

De plus d’une façon, Andréa se sent, l’espace de ce bref instant, incroyablement léger.

La semelle de ses chaussons d’escalade retrouve enfin le sentier, mais sa tête, elle, nage encore dans le trop plein d'émotions entraîné par le torrent, les mains d’Ephraïm autour de ses bras ne l’aidant pas à sortir de l’étourdissement, brûlante même à travers ses manches. Il a perdu l’habitude du contacte, a repris le fardeau de la distance pudique héritée de son père dès que les papiers de divorce ont été posé sur la table basse; lorsque le jeune homme vient presser à nouveau son visage contre son torse alors que son cerveau n’a pas encore pris le temps de se remettre de la première étreinte, les mots lui sont à nouveau arraché, ses lèvres entrouvertes et le coeur palpitant presque douloureusement, bras ouverts mais jamais refermés.

Comment est-il supposé accueillir l’information et agir en conséquence dans cet état ? Les décibels ne l'aident pas à penser et pourtant, doucement mais sûrement, la confirmation de ce qu’il savait déjà commence à être assimilé, comme si l’entendre de la voix du cadet Kurusu rendait la nouvelle réelle.

Uriel s’est réveillé.

Ephraïm est fou de joie,
et lui, transi de peur.

Peut-être l’émotion a-t-elle profité de ce moment d’égarement pour se faufiler sur son visage interdit, car le noiraud le lâche enfin, bien que le moulin à parole ne soit pas prêt de s’arrêter. Andréa en comprend peut-être le tiers, le reste noyé dans le désordre laissé derrière l’étreinte de l’équidé. Ephraïm est à bout de souffle, semble presque au prémisse de l’hyperventilation. Depuis combien de temps ? Combien de jours ? Si son frère s’est réveillé quelque temps après sa visite et que l’intensité de ses émotions est toujours si forte qu’elle a réussi à ébranler l’inébranlable, comment ne s’est-il pas effondré sous le poids de cette joie sans borne ?

Comment n’est-il pas épuisé ?

Quelqu’un s’en est-t-il soucié ?
Le vautour commence à trier ses pensées, remettre à leur place les informations dans les boîtes appropriées et ranger celles-ci sur leurs étagères attitrées. Avec cela vient la réalisation de l’ampleur du problème avec lequel il a promis d’aider, les prémisses d’un doute. Est-il vraiment en mesure d’honorer sa promesse ? Ses propres émotions lors de ses années tumultueuses qui lui paraissaient si intenses ne ressemblent plus qu’à une misérable vague face à un tel typhon.
Le menton dans la main, il ne réalise s’être enfoncé dans sa réflexion que lorsque le goulot en inox rentre dans son champ de vision mais n’a pas le temps de bredouiller quoi que ce soit en refusant poliment l’offre de la paume qu’enfin Ephraïm revient sur terre, la réalisation se lisant sur son visage aussi clairement que la météo dans le ciel dégagé.

Ce n’est pas très sympa, mais sa gêne lui accorde quelque seconde supplémentaire pour effacer la sienne et reprendre contenance alors qu’il s’applique à lisser les plis de son coupe-vent. “C’était… Surprenant, en effet.” Il s’éclaircit la voix, réajuste son sac sur son dos en tentant de ne pas repenser au vertige déroutant de son petit tour dans les airs, comme si les cieux lui étaient inconnus. “Mais au vu des circonstances, votre réaction est on ne peut plus compréhensible.”

Il est si habitué aux condoléances, que doit-il dire dans le cas contraire ? Déjà à la naissance de son neveu puis de sa nièce, il n’avait rien trouvé de plus que des félicitations génériques à offrir à sa cousine alors que la chaleur dansait au creux de sa poitrine en contemplant la vie dans le berceau, minuscule et fragile. Alors, face à un revenant qui ne lui inspire qu’incompréhensible appréhension, comment trouver la formule appropriée lorsque la peur vient dévorer le soulagement ?

“C’est merveilleux.”

Uriel Kurusu, qu’il est venu voir quatre fois par an pendant près de dix ans de coma, se réveille et c’est tout ce qu’il trouve à dire.
Si le jeune homme reste perplexe face à ses émotions indomptables, son aîné ne peut qu’être frustré de constater une fois encore son inaptitude à connecter avec ses semblables. L’extérieur a beau être de glace, l’intérieur n’a qu’envie de se fondre dans la roche et ne faire qu’un avec elle, quitte à tant lui ressembler. “Mais je ne voudrais pas imposer ma présence, votre frère doit être fatigué.” Et l’idée,
la simple idée de vraiment faire face à Uriel,
de lui adresser la parole alors qu’il avait fait son deuil-

Il ravale sa nausée, ignore l’angoisse qui comprime sa gorge. “Merci d’être venu me l’annoncer.” Le sourire doit se battre pour réussir à poindre, mais sa sincérité se reflète dans les yeux sombres qu’il baisse vers son cadet. “A vrai dire, la nouvelle était déjà remontée jusqu’au QG, mais l’attention me touche, vraiment.” Qu’il l’ait considéré comme suffisamment important pour devoir l’entendre de vive voix, qu’il lui ait donné rendez-vous juste pour ça, l’escalade presque plus un prétexte… Cela réussit à dénouer, même juste un peu, le nœud dans sa gorge, bien qu’il ne soit pas plus avancé sur la nature de ses propres émotions.

L'effort réussira peut-être là où la raison a échoué, car il ne s’imagine pas essayer de démêler cela avec son comparse; sa question est donc, discrètement, balayée sous le tapis alors que le vautour se tourne vers le flanc de la montagne, mains sur les hanches comme s’il l’évaluait. Mais ses pensées ne pourraient pas être plus loin, le geste qu’une bonne excuse pour malmener sa lèvre sans autre témoin que la roche. Quelque chose grouille dans la fange au fond des restes de ces émotions laissées sans suite, insatisfait de ces platitudes. “Je suis… Heureux, de ne pas vous avoir porté malheur.” S’il n’y croyait plus, à ce miracle, alors c’est à se demander ce qu’il attendait, dessinant des cercles au-dessus du toit de cette maison. Ces visites étaient dures, elles étaient pénibles, le jeune homme avait mis le doigt en plein dessus avant d’imploser, et depuis ce jour la raison de son entêtement à s’imposer ce pèlerinage pour voir un homme qu’il considérait déjà comme mort continuait de l’éluder, tant qu’il avait fini par se laisser persuader de ce qui s’était toujours chuchoté tout bas.
C’était la mort qui le magnétisait. Une attraction irrésistible, un pressentiment inné hérité des tréfonds de son âme.

Jamais il n’avait été aussi heureux d’avoir eu tort.

Mais effleurer, même du bout des doigts, cette inquiétude, l’évoquer de vive voix, la rend ridicule. Une superstition stupide qui n’a pas sa place dans la bouche d’une personne aussi sérieuse, qui ne risque que de perturber inutilement l’écosystème si sensible du jeune homme. “J’espère qu’il vous reste de l’énergie à revendre.” La phrase est rhétorique, supplication silencieuse à retourner le sujet loin de ses états-d’âme. Il est évident qu’Ephraïm en déborde, il ne reste qu’à trouver un moyen de la canaliser afin qu’elle cesse d’exploser sans prévenir; et lorsqu’il en sera déchargé, cela sera bien plus simple de l’aider.

Il ne doit pas perdre cet objectif de vue.
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Mer 26 Juil - 10:56
Ephraïm, calme-toi, entendait-il depuis des jours.

L’on connaît, l’expression de sa colère.

Elle anime tant les discussions des Milicien.nes qui le côtoient, qui méprisent ou s’amusent, de cette irascibilité. Elle exaspère et ennuie ses parents, qui s’inclinent, s’excusent et tentent tant bien que mal, de canaliser leur progéniture. Elle faisait sourire, Uriel, Uriel qui souriait toujours, même face au pire, face aux cataclysmes. Face à cette rage qui explose, elle tonne, comme l’orage, elle éclate, comme un volcan. La violence, des muscles tétanisés et des mâchoires crispées, qui s’abat et détruit, tout ce qui s’oppose à lui – tant qu’un cœur ne battait pas, sous la surface. La colère le balance contre les murs, elle le fait bondir dans les escaliers, elle le fait s’abattre contre une porte. Elle le fait renverser les meubles, balancer les bibelots, même ceux auxquels il tient, les briser sous ses semelles. Elle le fait se tenir seul, face à l’océan : hurlant face aux vagues, sa rage. Qu’elles réprimaient en noyant son visage, frappant son torse, lacérant ses épaules, l’aigreur de l’océan, vomissant sa bile, sans réussir à digérer, ce caillot de nerfs, d’os et de muscles. Ce petit être qui se sentait étrangement contenu par l’eau mouvante, quand le sel bouffait ses yeux, son derme égratigné, noyait ses papilles. Peut-être était-ce son frère qu’il cherchait, dans les remous. Et la pression libérée, finissait toujours par le laisser épuisé. C’est ensuite dans son lit qu’il allait se réfugier, dormir quelques heures, puis reprendre sa vie, comme si rien n’était. La colère, il suffisait qu’il la défoule, pour qu’elle le libère.

Mais ça, c’est nouveau.

Ca, ça ne se calme pas. Il a beau courir, sauter, grimper, ça ne s’apaise pas. C’est une tension dans les veines, l’envie, de traverser l’île, de s’élancer, de voler, de nager et même Uriel, même ses bras, n’arrivent plus à retenir l’étalon. A table, il ne tient pas, c’est impossible, les spasmes qui saisissent son corps imposent un mouvement, alors Ephraïm se lève, marche, sort, traverse la rue, il en oublie son assiette et sa famille, quand les arbres l’entourent, le vent fouette son visage, son pas s’accélère, et ça fait des jours que ça dure. Dormir ? Il y arrive. Debout, comme de nombreux équidés : les bras croisés sur son torse, ses yeux se ferment et sa tête dodeline. Cette énergie lui donne la force de soulever Andrea, de le faire tournoyer, comme s’il ne pesait rien, et reposé à terre, il ne peut s’empêcher de rester quelques secondes encore, au contact de son corps.

Et sous la peau, l’on sent presque le torrent qui nourrit ses veines. Le corps est brûlant, la sudation humidifie son dos, son front, ses yeux brillent. Ils n’ont jamais été si clairs. Dévoilant peut-être pour la première fois, leur bleu profond, presque mauve, des éclats y étincellent, comme les rayons du soleil jouent à la surface de la mer. Ses prunelles agitées d’une vie impalpable, ce n’est plus la rage qui gronde, comme un orage menaçant à l’horizon, ce ciel, est à présent vide, vide de tous nuages pour l’obscurcir.

Il a retrouvé, tout ce qu’il avait perdu.

L’ivresse, d’un monde qui retrouve son ordre, d’une vie qui retrouve son sens, d’un espoir et de prières, de rêves qui se sont réalisés. L’impossible, est devenu réalité.

Le geste de la main l’invite à baisser la gourde en inox, qu’il range finalement dans son sac. Ce geste lui permet de courber le dos, de reprendre le contrôle, de gestes réellement volontaires cette fois. Son cœur trépide dans sa cage thoracique, il a l’impression que ses sabots s’abattent sur ses côtes en un galop effréné, mais il arrive à ralentir un peu, le rythme de son souffle.

Surprenant ? Le commentaire d’Andrea accentue les rougeurs sur ses joues, penaud, il aimerait afficher une expression renfrognée : n’y parvient pas. Son sourire s’affaiblit simplement, ses yeux se détournent, mais il ne parvient plus à dissimuler sa joie. Il frotte son nez du dos des doigts, et à la mention des « circonstances », ses épaules ont un spasme, son visage revient unir ses yeux à ceux d’Andrea et son sourire s’élargit.

Andrea a probablement évité de justesse une autre étreinte impulsive.

Contenue tant bien que mal, dans ce pied qui piaffe, qui se repose au sol, le poids qui se déplace, d’une jambe puis l’autre, les mains qui enserrent, les lanières de son sac.

_ Il l’est…

Il est fatigué, sois calme Ephraïm, reste calme, implorent ses parents dans sa tête.

L’inquiétude passe un instant, elle est enfantine, elle est naïve, la peur, de mal faire, la peur, de lui faire mal, rapidement chassée par l’adulte, qui se reprend. Plus sérieux cette fois, Ephraïm a froncé les sourcils.

_ En effet, il est fatigué. Mais vous ne vous imposeriez pas. Je pense qu’il… serait vraiment heureux de vous voir. 8 ans sont passés et… Il est un peu perdu, il a du mal à reprendre pieds, mais je ne veux pas le laisser.

Ses sourcils se froncent davantage sous la détermination, ses mains resserrent leur emprise sur les lanières de son sac.

_ Il a besoin de repos, certes, mais aussi, de retrouver contact avec l’extérieur… Je pense… que ça peut lui faire du bien, de se sentir progressivement… intégré ? Qu’on l’aide à prendre le train, plutôt qu’à sauter dedans quand il est en marche.

Ephraïm ne sait pas que son frère ne veut pas revenir à ce qu’il était, qu’il a souhaité disparaître au fond des abysses, se faire emporter au loin, par l’océan. Que derrière son sourire, il enterre l’envie, de ne plus être. Qu’il s’accroche plutôt à l’espoir, de renaître.
Andrea déglutît et les yeux attentifs d’Ephraïm relèvent ce détail. Son expression s’adoucit légèrement.

_ Mais hm… Je comprendrais que vous ne vous sentiez pas à l’aise, je… N’y voyez pas d’obligation. Faîtes comme vous le sentez, comme vous voulez, comme vous préférez. C’est ce qu’Uriel aurait… C’est ce qu’Uriel voudrait sûrement.

Il cligne des paupières en entendant que la nouvelle s’est déjà si vite répandue… Se dit qu’il s’agit probablement du fait de son père, chargé de communication pour la milice. Il n’a pas idée qu’il a lui-même mis le feu aux poudres en parcourant l’île au galop, allant chercher, médecins et professionnels de santé, ou des proches à qui hurler la nouvelle.
Et les mots d’Andrea lui font écarquiller un instant les yeux. Ca tombe comme un couperet, c’est une vague qui se fracasse contre son torse et le ferait presque reculer d’un pas. Mais ses muscles se tendent et Ephraïm ne recule pas. Ses mains raffermissent leur emprise sur les lanières de son sac. Et au contraire, il avance.

D’un pas, d’un autre, puis encore d’un autre et encore un autre.

Jusqu’à être à hauteur d’Andrea et même, un peu plus proche de la montagne que lui. Sa main caresse la roche, sans craindre ses aspérités, jusqu’à se refermer sur l’une d’elles, comme pour en tester l’appui.

_ Vous ne nous avez jamais porté malheur.

Sa colère avait tant détruit. De jouets, d’objets précieux, ses parents, épuisés, qui gémissaient, Arrête Ephraïm, arrête de tout casser, ajoutant au poids de la colère, celui de la honte et de la culpabilité. Ca l’avait étouffé, c’était devenu encore pire, car Ephraïm ne voulait pas s’énerver, qu’il s’enrageait de sentir la moindre petite pointe d’agacement, tellement que la plus minime colère, prenait des proportions désastreuses. Simples vagues, laissant place au tsunami – que seul son frère parvenait à retenir.

D’un sourire, de mains glissées, autour de lui, et parfois même, un rire !

Si tu savais, Ephraïm, comme je t’envie.

Alors cette colère, est devenue sa force, Ephraïm l’a acceptée, l’a aimée, finalement, il n’est pas toujours sûr de vouloir réellement s’en séparer.

_ Au contraire.

Ephraïm lui adresse une œillade et hausse les épaules. Bourru, il appuie légèrement son épaule contre le bras d’Andrea, et le bouscule même d’une pression.

_ Vous avez été là. Pour lui et pour moi. Ca m’a fait plaisir de vous rencontrer. Et de voir qu’on n’était pas seuls, vous savez ? … Les temps difficiles te révèleront toujours qui sont tes vrai.es ami.es.

Ephraïm marque un silence.

_ Et vous avez été là.

Répète-t-il simplement.

_ On ne sait pas ce qu’il fait qu’Uriel s’est réveillé. Mais votre visite y a sûrement participé. Et… Et hm… ça m’a… ça m’a soulagé, qu’on ait parlé ensemble, et je… je suis très heureux d’être là avec vous aujourd’hui, d’avoir quelqu’un avec qui grimper.

Son sourire revient sur ses lèvres, il vainc la pudeur qu’il veut afficher. Mais Ephraïm, finalement, ne sait pas mieux contenir sa joie que sa colère : elle éclate, dans ses yeux, comme un feu d’artifice.

_ Ca permet à Uriel de se reposer et nous, de grimper en toute sécurité et de profiter d’un bon moment ! Alors ne vous en faîtes pas… Vous ne portez pas malheur. Allez, venez !

Ephraïm se met en marche, bien qu’il note au fond de son esprit, les mots d’Andrea. Il faudra… Qu’ils en reparlent, songe-t-il en laissant ses yeux parcourir les flancs rocheux. Sa main épouse la roche, sans réellement craindre ce qu’il pourrait y rencontrer, jusqu’à ce qu’il s’arrête à un endroit où il y a davantage de prises.

C’est ici, qu’il a battu le record de montée du Mont Hurleur - et son sourire ne s’en fait que plus fier.

_ Uriel et moi, on s’entraînait ici quand j’étais gamin.

Il défait son sac, récupère les harnais, les crochets, la corde et s’approche d’Andrea.
_ On s’attache ? Propose-t-il en enfilant déjà son harnais pour nouer la corde d’escalade à l’accroche adaptée, jusqu’à la tendre à Andrea.

Ses yeux reviennent s’unir aux siens.

_ Vous êtes prêt ?

Il demande, avec sérieux et malice à la fois. Une lueur de défi dans les prunelles – défi, défier la montagne, affronter les éléments, ce n’est pas la compétition qui l’intéresse, c’est l’effort.

C’est lutter, contre tout ce qui se dresse face à lui. Et aujourd’hui après tant d’années, il n’est plus le seul à vouloir faire face au Mont Hurleur.

_ Andrea…

Ses sourcils se sont froncés, son sourire, s’est éteint.

_ Je n’ai jamais grimpé qu’avec Uriel. Vous êtes le premier avec qui je vais gravir cette montagne, depuis lui. Et ça sera… Un bon moment, d’accord ? Je suis heureux. Que ça soit avec vous. De le faire avec vous. Alors… Merci.

Pour tout.

Car l’éducation traditionnelle d’Ephraïm lui a appris à être solennel.

Et qu’en cet instant, il y voit, un message. Il y a des années, Uriel lui a appris à affronter l’océan et la montagne, Uriel lui a donné les moyens, de les défier. Ce n’est pas réellement la victoire qu’Ephraïm recherchait : mais le plaisir de se dépasser. D’apprendre à se connaître, s’explorer et éloigner un peu plus, ses limites. Prendre confiance en lui et ses capacités.

Est-ce à lui d’apprendre d’Andrea, ou à son Capitaine d’apprendre de lui ?

Peut-être ont-ils seulement, à s’apporter ce qu’ils peuvent donner.

L’un, sa stabilité, l’autre, sa liberté.

_ J’attends votre signal.

Bien que ces signaux n’aient pas manqué.

Ephraïm, après avoir confié la corde, étire ses muscles, ses bras, ses jambes, sautille légèrement, puis se campe sur ses appuis. Ses yeux parcourent la surface rocheuse, décèlent déjà ses prochains appuis.

Il ne faut pas se précipiter, il le sait, il faut prévoir à l’avance ses mouvements, pour ne pas être bloqué. Ils iront à leur rythme, graviront progressivement, la façade.

Il connaît ses prises, pour les avoir tant de fois parcourues – et laisse son esprit s’évader. Il pense à Andrea. A ses discrètes mimiques, à ses mots, ses hésitations. La crainte, de toujours gêner, la peur, de porter malheur.

Il a entendu, ce qu’on dit de lui. Mais il n’avait pas conscience que ce poids pesait réellement sur les épaules si droites du Capitaine – qu’ils pourraient lui faire courber l’échine.

Et le constater, ça le touche en plein cœur. Ca l’étouffe. Il a envie d’arracher, tout ce qui étrangle Andrea, le libérer, qu’il puisse, s’envoler, sourire, exister, sans avoir à craindre que sa simple présence, puisse déranger.

Comme son frère lui a appris à s’accepter.


Ephraïm Kurusu
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Dim 30 Juil - 21:17
Your name is not your king, I rename you
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"Live." he says "I am coming."
Comme le couvercle d’une cocotte qui tressaute sous la pression de l’eau bouillonnant en dessous, l’énergie du jeune homme l’agite, se sent même lorsqu’il tente de la contenir, mais la méthode est la mauvaise, maladroite; comme tenter de figer le couvercle en appuyant dessus, enfermant la pression qui s’accumule sans échappatoire, alors qu’il suffirait simplement de baisser le feu, sans l’éteindre. Réguler ses émotions débordantes, plutôt que de les réprimer.

C’est malheureusement le même réflexe qu’il est encore à ce jour en train de désapprendre, celui inculqué par ses collègues et ses supérieurs au fil des années. Étouffer cette injustice qui lui saisit le coeur, ravaler le ressentiment découlant de cette tentative infructueuse jusqu’à ce qu’il se retourne contre lui-même, un cycle dangereux dans lequel il est si facile de tomber, tant qu’il dérape malgré lui, s’échappe au grand jour sous la pression.

Mais avec Ephraïm, il peut faire mieux. Lui montrer comment faire là où il avait appris à ses dépends et lui éviter de traîner les mêmes erreurs que lui, de les laisser se cristalliser en lui.

(c’est à se demander qui il cherche à aider avec ce projet)
(encore un autre)(encore à se mêler de ce qui ne le regarde pas)

C’est dur, pourtant, de ne pas s’abandonner à ces vieux réflexes lorsque le jeune homme insiste, argumente sans savoir, plein de bon sentiments qui blessent. Andréa doute que sa visite enchante autant que cela le revenant; après tout, il est un presque inconnu, n’a gagné en importance dans sa vie qu’en s'entêtant à ces visites vide de sens. Un Milicien parmi tant d'autres qui a été touché par la droiture d’Uriel Kurusu, un quasi anonyme dont le nom a sans doute été oublié bien avant la tragédie.

Et… Il préfère que ça reste ainsi, n’est-ce pas ? C’est peut-être bien cela, qui lui fait peur, qu’une personne qui l’a tant aidé sans s’en rendre compte devienne consciente de son existence. Qu’elle le découvre et pose sur lui le même regard que tant d'autres.

La brise prendra le blâme du frisson qui fait tressaillir ses épaules. “Se pourrait être bénéfique, c’est vrai.” Le vautour se cache derrière un sérieux pensif, calcule méticuleusement le temps de sa pause pour rendre la réflexion plausible. “Si cela peut aider, je peux prendre contact avec les membres de son unité. La majorité sont encore en service, je pense qu’ils seraient ravi de lui rendre visite.” Et le voilà gracieusement dédouané de cette obligation, le masque professionnel contenant derrière lui ces terribles émotions sans en laisser échapper une goutte alors qu’à l’intérieur, le gouffre s’étend.

C’est fou, ce que les fantômes du passé ramènent avec eux. Le voilà huit ans en arrière, en prise à ces pensées que des années de thérapie ont tenté de rectifier, tant que même le masque qu’il a si diligemment appris à maîtriser glisse, les mots instantanéments regrettés, balayé eux aussi sous le tapis. Pourtant, il ne retourne pas vers le jeune homme, ne lui adresse pas un sourire qui aurait suffit à rendre cette remarque anodine; c’est lui qui s’approche, regardant droit devant eux, face à la paroi immense qui se dresse sur leur chemin. Ne pas avoir à affronter son regard le rassure, comme s’il ne s’agissait pas d’un subalterne, d’un gosse dont le jugement n’a aucune importance pour un adulte de son âge.

Mais il a de l’importance, c’est ça, son problème. Prisonnier du regard de tous, perpétuellement surveillé à la loupe, le moindre faux pas une tâche indélébile sur son image. Andréa ne sait pas se moquer de la perception des autres, et cela s’empire, encore et encore, plus il s’approche et s’accroche. Alors, la correction d’Ephraïm lui donne l’impression de se faire taper sur les doigts, fait grandir la honte d’avoir admis croire à ces sottises plutôt que de le soulager. Lorsque les regards se croisent enfin, c’est du coin de l'œil, une partie du visage du jeune homme obstrué par sa frange. Il préfère ne pas pouvoir déchiffrer son expression, rester ignorant, mais l’épaule contre la sienne le force à tourner le nez vers lui. L’équidé le pousse à se redresser en contractant les muscles pour ne pas le laisser le bousculer, réussit presque à lui soutirer un sermon: ce n’est pas une façon de se comporter avec un supérieur.
Mais s’est-il réellement conduit ainsi pour se permettre le reproche ?

Non.
Le jeune homme lui rappelle gentiment que ce n’est pas en tant que Milicien qu’ils sont là aujourd’hui. Que sur son dos ne pèse pas l’uniforme sordide dont il tente de laver l’honneur.

Tu m’accordes trop d’importance.

Ce sont les mots qui brûlent le bout de ses lèvres, mais il n’oubliera pas de tourner sa langue sept fois dans sa bouche une seconde fois, ne s’angoisse pas de cette seconde de silence supplémentaire: Ephraïm se charge d’y mettre fin tout seul, chasse les nuages provoqué par son écart, revigoré par sa propre force, cette source de joie inépuisable qui trouve source dans ce miracle inespéré. Elle est si forte, si éblouissante qu’elle réussit à relever les commissures de ses propres lèvres, à peine. “Vous avez raison.” Sur quel point, c’est son secret, mais le vautour veut bien au moins lui accorder cela. Passer à autre chose, et peut-être même essayer d’assimiler un peu de cette bienveillance débordante qu’il semble avoir à son égard.

Il le suit diligemment, observe la main qui se laisse porter par reliefs de la paroi. Si ce n’était pour les grands discours du jeune homme, l'évocation du passé lui ferait craindre de faire ressurgir des émotions négatives avec cette petite escapade, mais il semblerait qu’il soit le seul à se laisser submerger par ses souvenirs. L’éveil de son frère a métamorphosé son cadet, comme libéré des entraves que le Capitaine n’avait que eu l’occasion d’apercevoir lors de leur rencontre.
Andréa surprend son regard insistant sur son cadet au moment où son attention revient sur lui, accepte dans un sursaut contenu le harnais en hochant la tête. Une fois en ascension, cela deviendra dangereux de se perdre ainsi dans ses pensées: il faut qu’il s’ancre dans la sensation des sangles qu’il resserre soigneusement autours de ses cuisses, la corde entre ses mains qu’il passe dans le grigri d’un geste habitué, le goût métallique de l’épingle à cheveux qu’il ouvre entre ses dents pour venir retenir la frange traîtresse, la magnésie qui lui chatouille le nez lorsqu’il frappe dans ses mains pour enlever le surplus,

les yeux bleus d’Ephraïm lorsqu’il lève enfin les siens après avoir remis son sac sur son dos.

“Oui.” répond-t-il avec tout autant de sérieux mais aucune malice. Il faut qu’il le reste, s’il ne veut pas les mettre en danger; il s’approche même de son partenaire d’escalade pour s’assurer qu’il soit bien accroché, tirant sur la corde les reliant afin de vérifier, comme toujours. Un travail n’est jamais fini sans qu’Andréa ne l’inspecte, donne son approbation dans un hochement de menton sans doute infantilisant.
Mais s’il lui arrivait quoi que ce soit sous sa supervision, il-

Son prénom le tire des griffes de l’angoisse qui elle profite du sursaut pour se montrer, une seconde, au fond de ses yeux sombres. La familiarité dénote avec le visage grave du jeune homme, ce sérieux habituellement réservé au Capitaine Su, pas à Andréa; un oxymore qui le laisse sans voix jusqu’à ce qu’enfin un couinement parvienne à se glisser. “Vous m’avez fait peur !” Ça se sent, bouscule le ton habituellement monocorde dans les aigus. C’est un reproche purement émotionnel, impulsif, qui lui demande de se pincer l'arête du nez et de soupirer pour calmer son pauvre cœur. “S’il-vous-plaît, vous n’avez pas besoin de me parler de cette façon lorsque nous somme ici.” En voilà une bien bonne, que l’inflexible Capitaine Su demande de faire fi des protocoles, lui qui est incapable de laisser tomber les formules de politesse même avec ses collègues de longe date.

C’est trop bête que la forme l’ait fait craindre le fond qui, doucement, se diffuse dans sa poitrine, vient discrètement rougir le bout de ses oreilles. Ephraïm a fait de ce qui ne devait qu’être une simple journée d’escalade un honneur qu’il n’est pas certain de réussir à accepter: il ne s’en sent pas méritant, lui qui n’a été qu’une ombre dans sa vie jusqu’à ce printemps, mais ne peut pas le refuser. “C’est moi qui devrais vous remercier.” Sa main ne sert plus que de prétexte pour se cacher alors qu’il tente d’essuyer l’empreinte blanche laissée par ses doigts avec son poignet: une partie échappe à cette tentative, maladresse sur sa peau immaculée alors qu’il affronte enfin le regard de l’autre. “Que vous acceptiez… Ça m’a vraiment fait plaisir.” C’est un peu plus simple de le dire après ce grand discours, comme une permission d’être sincère sans craindre le ridicule. “Alors vous pouvez compter sur moi, je ne vous quitte pas des yeux.”

Il n’est lui-même pas certain que le sujet soit encore l’escalade; il échappe à cette prétention en déroulant un peu de corde afin de laisser assez de jeu à Ephraïm pour amorcer, lève les bras pour parer toute chute avant le premier point, puis inspire profondément.

C’est dur, de résister à la tentation de se comparer à son frère lorsqu’il se tient précisément là où il a été, mais il ne peut pas s’en encombrer s’il veut honorer sa promesse. “Vous pouvez y aller.” Cela fait longtemps qu’il n’a pas joué le rôle de l’assureur, mais les réflexes sont encore là, ancrés dans ses gestes fluides et son regard perçant alors qu’il se met à dérouler la corde. Suivre le rythme du jeune homme, clairement plus que familier avec la paroi, demande toute son attention, alors même s’il n’a pas encore commencé à épuiser ce corps pour taire ses pensées, guetter ses mouvements comme un aigle et observer le chemin qu’il choisit avec diligence suffit à garder son esprit loin de ses préoccupations.

En un rien de temps, Ephraïm atteint le premier plateau, mais le vautour ne lâche pas la corde, pas avant son signal.
Face à la roche, il se retrouve sans repères, hésite, cherche ses appuis. C’est très différent d’un mur d’escalade, les prises moins évidentes, moins lisses. Ses ailes ne lui seront d’aucune assurance: elles resteraient prisonnières de ses vêtements et des lanières de son sac à dos s’il tentait de se transformer en pleine chute. Mais il y a son cadet qui l’attend, là-haut, dans lequel il peut mettre sa confiance. Alors il se lance, se hisse en essayant un premier temps de suivre le chemin emprunté par son compagnon avant d’être forcé de constaté que sa taille l’en empêche. Son ascension est plus lente, méthodique, mais elle se fait aussi vite efficace lorsque ses mains et ses pieds commencent à s’habituer à la roche.

La satisfaction n’en est pas amoindrie lorsqu’il pose enfin la main sur le plateau. L’effort engourdi ses muscles dès qu’ils ne sont plus contractés, l’acide lactique accumulé dans ses bras difficilement déchargé même en les laissant pendre le long de son corps. “C’est plus difficile que je le pensais…” admet-il dans un pouffement en essuyant son front du dos de la main, avant de regarder derrière eux.

Ils ne sont pourtant pas très haut, mais déjà, la vue s’approprie son attention, incomparable aux quatre murs du complexe sportif. Ce délicieux vertige, cette brise, cela fait depuis bien longtemps que le vautour de l’a pas senti; il ne prend de l’altitude plus que pour patrouiller, son esprit accaparé par sa tâche incapable de profiter de ce sentiment de liberté dont rêve bien des anima dépourvu de plume.

C’est certain: il veut aller plus haut encore, l’enthousiasme pétillant discrètement au fond des iris qu’il retourne vers le jeune homme. “Mais ne vous inquiétez pas, je peux continuer.” Andréa est trop sage pour mentir sur ce point ou se laisser entraîner par le feu de l’action; s’il le dit, c’est bien qu’il sera en capacité d’assumer, et son égo ne se mettra pas en travers de son chemin s’il doit abandonner à mi-chemin.

Et puis… Il doit profiter de cette opportunité tant qu’Uriel n’est pas en état d'escalader, car il reprendra sans doute sa place dès que ce sera le cas.

La pensée est égoïste, disgracieuse, tue comme toutes ses jumelles auparavant. Andréa avait appris très tôt à garder ses caprices pour lui-même afin de ne pas encombrer ses proches, au point de bien trop souvent paraître détaché, impassible, comme lui avait reproché sa femme. Alors il veut profiter de son partenaire d’escalade tant que cela dure, jusqu’à ce qu’il lui devienne inutile, qu’il puisse passer le flambeau plus loin. “Vous par contre, ça se voit que ce parcours n’a plus de secret pour vous.” Il songe aux photos qu’il tentait pudiquement de ne pas regarder lors de ses visites, la carte, les commentaires. Escalader avec Ephraïm, ici, c’est comme s’inviter dans ses souvenirs sans jamais tout à fait les saisir, être un spectateur sourd et aveugle. “J'espère que ce n'est pas ennuyant pour autant.”

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Ephraïm Kurusu
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Lun 28 Aoû - 12:31
Le retour à cette vie passée, le ressac d’une mer qu’Uriel espérait quitter, est-ce vraiment ce qui l’aidera à sortir la tête de l’eau, à ne pas se noyer, dans toutes ces informations, cette existence dont le sens se délie au cours des marées ?

La proposition d’Andrea surprend Ephraïm, enthousiaste, il va pour accepter, mais ça tire, dans sa cage thoracique. Il y a, ce petit quelque chose qui le chagrine, il n’arrive pas encore à mettre le doigt dessus, à le définir. Il sent la même chose, quand Uriel met trop de temps à répondre à un SMS ou une question, cette latence, qui s’éternise, puis une réponse qui se dissout entre ses lèvres, un « plus tard », « pas maintenant », « peut-être », il n’y a plus de repères.

Car avant, Uriel, c’était toujours « oui » ou « non », c’était un sourire assuré. Dans ses souvenirs, son frère était Milicien, un homme convaincu du bienfondé de son travail, investi dans ses missions, c’est la trace qu’il s’efforce de garder. Mais avec les années, le vernis s’est écaillé.

Il se souvient d’Uriel qui lui demande, s’il n’y avait pas la Milice, qu’est-ce que tu aurais fait ? D’Uriel qui marchait en équilibre, les bras levés, qui s’arrêtait parfois pour regarder le ciel, et qui ne réagissait que lorsqu’Ephraïm saisissait sa main, pour lui dire, tout va bien. Est-ce que c’était réellement le cas ? Les derniers mois, Uriel ne rentrait plus tous les soirs, Uriel remettait à plus tard leurs promenades, Uriel était moins présent, plus absent, même lorsqu’ils étaient ensemble, Uriel, aimait-il son travail ?

Le sourire s’efface, le regard se trouble, les bras se croisent, perdu dans ses pensées, Ephraïm finit par lever les yeux vers Andréa.

_ Je ne sais pas… Vous avez vu Uriel, physiquement, ce n’est pas sûr qu’il puisse un jour reprendre son rôle à la Milice.

Il s’entend prononcer ces mots avec stupeur, comme si son corps, refusait le déni, son cœur sait, ce que sa tête refuse d’admettre. Que son frère, ne pourra probablement jamais, redevenir ce qu’il a été. Les mots sont des rasoirs, ils font mal et sa gorge se contracte, sans freiner leur avancée, ça coupe et ça brûle, ça laisse ses chairs à vif. Ses épaules se contractent, la tension gagne sa cage thoracique, pour écraser la plaie, l’empêcher de saigner, son esprit, plus groggy, peine encore à réfléchir.

_ Je ne sais pas si… si les voir lui fera du bien, il a surtout besoin… d’ami.es. Pas de collègues. Le travail, ce n’est pas pour maintenant. Enfin je… Faîtes ce qui vous semble le mieux, si vous connaissez des gens qui l’ont apprécié, ça pourrait être une bonne chose.

Ephraïm s’efforce de sourire, bien que ce sourire soit un peu tordu. Le soulagement s’est soudain étouffé, quand sa cage thoracique s’est écrasée. Car Ephraïm se demande toujours, ce qui est arrivé à Uriel, ce qui lui est passé par la tête, car maintenant qu’il est là, le petit frère réalise que son aîné n’est plus celui qu’il a quitté.

Et c’est un peu effrayant de se dire qu’il est avec une personne qu’il pensait connaître par cœur – et dont il ne sait, au final, que si peu de choses. C’est comme être au bord de l’abysse, voir la mer s’agiter et sauter, sans savoir si son corps va se briser sur les rochers. Un saut, dans l’inconnu, Ephraïm propose et suppose, sans savoir ce qu’Uriel en pense, ce qu’il aimerait, ce qu’il voudrait.

Pendant 8 ans, il a décidé pour lui, il a pensé pour lui, il a tout fait, pour lui. Laver son corps, le nourrir, le sortir, sans jamais réellement savoir si ce qu’il faisait lui convenait. Et les tensions grandissent, il les sent descendre le long de son dos, atteindre le bout de ses doigts, fourmillements, alors que son souffle plus laborieux, repousse les limites de son diaphragme contracté, de cette boule dans le ventre qu’il essaye d’ignorer.

_ On y va.

L’affirmation est une décision, il faut agir, il doit bouger.

Et au signe d’Andréa, Ephraïm fait un pas vers la façade rocheuse. Il ne se jette pas, comme on aurait pu l’y attendre. Il s’immobilise et observe longuement la pierre, d’avance, il trace son trajet. Un réflexe, que son frère lui a appris.

Avant de monter, il faut prévoir quel chemin emprunter, pour ne pas se retrouver bloqué.
Et Ephraïm sait qu’il ne faut pas laisser la force de l’habitude rompre son attention aiguisée. Il faut être prudent, dans son ascension, ne rien négliger. L’esprit dirigé vers son objectif lui permet d’évincer toutes pensées, sensations parasites. Et une fois les prises identifiées, Ephraïm grimpe.

Ce ne sont pas ses mains qui s’accrochent en premier lieu : il lève un pied, le bloque dans une anfractuosité, s’appuie et son autre jambe se repose plus en hauteur, d’un élan plus vif, il se jette en hauteur. Sa main empoigne la prise, et sa première jambe se libère de son encoche pour atteindre une autre. Il s’élève, les gestes sont méthodiques et assurés. Malgré sa petite taille, l’équidé possède une belle allonge et plus encore, une puissance musculaire certaine. Ses vêtements et son sac, ne suffisent pas à dissimuler le roulement des muscles sous la peau fine, les veines qui se gonflent de sang sous l’effort.

Il s’apaise, la boule dans son ventre se dénoue. Les tensions se déchargent, le surplus d’énergie alimente à présent ses mouvements, Ephraïm sent, qu’il ne pèse rien. L’effort est pourtant là, il sent le souffle rauque, dans sa cage thoracique et ça fait du bien de se sentir forcer, forcer pour se soulever, pour s’hisser, bien que cette difficulté ne soit pas encore perceptible.

Il y a quelques années, il a grimpé le Mont Hurleur en 5h et 10 minutes. Il a battu le record de son frère, et se demande d’ailleurs, s’il ne détient pas le record tout court de montée. Arrivé là haut la première fois, il s’était senti si bien.

Au dessus des forêts, au dessus de la mer, il était au plus proche du ciel : le vent s’engouffrait dans ses vêtements, il était en sueur mais avait si froid, il sentait la douleur vriller ses muscles, l’ivresse, d’être perché tout là haut, de se demander, qu’est-ce que ça ferait si je sautais ?


Le premier plateau est déjà là, il s’hisse avec aisance, s’étire un instant, avant de chercher où accrocher la corde. Il veille à la sécuriser, avant de la saisir. Il campe fermement ses talons au sol, enroule soigneusement la corde, la noue pour la tenir plus aisément, avant de faire signe à Andrea. Et c’est au tour du Capitaine de gravir la roche.

D’un œil, il surveille l’ascension de l’homme. Il sourit en le voyant hésiter, par réflexe, il cherche à suivre son chemin – bonne idée, mais il ne convient absolument pas à ses membres bien plus longs que les siens ! Il reste silencieux, ne voulant pas briser sa concentration, il préfère focaliser ses prunelles sur les mouvements de ses mains.

Est-ce qu’Uriel serait heureux, de le voir grimper avec un autre ?

Uriel aurait sûrement souri, profite, petit frère, amuse toi, je suis content pour toi, mais est-ce qu’il l’aurait pensé ? Aurait-il été triste, aurait-il été jaloux, lui en voudrait il, de faire ça avec quelqu’un d’autre ?

Ces préoccupations sont nouvelles et le font froncer les sourcils, il n’aime pas entendre ces inquiétudes insidieuses, qui gâchent le moment, qui gâchent les souvenirs, qui gâchent l’image, qu’il a de son aîné.

Andrea arrive à son niveau. Il déplie sa haute silhouette, essuie son front du dos de la main et pouffe – il est donc capable de rire ? Instinctivement, les lèvres d’Ephraïm s’ouvrent en un discret rictus, amusé à son tour, il regarde à son tour le paysage.

Délaissant un instant la corde, il s’approche, jusqu’au bord à son habitude, il s’accroupit et se penche pour sentir la montée d’adrénaline.

__ C’est ce qui rend ça agréable.

Ephraïm sourit en haussant les épaules.

__ Que ça soit difficile, mais qu’on y arrive.

Il se redresse et son regard croise celui d’Andréa. Ses yeux brillent. Et à dire vrai, Ephraïm a l’impression qu’il n’a tout simplement jamais vu… Andréa si épanoui. Car ses prunelles, renferment quelque chose, de beau, qui fait du bien, une chaleur qui le touche en plein cœur. Il y a eu son rire, il a, le souffle profond, dû à l’effort et à la satisfaction.

Ephraïm s’est docilement rapproché et lorsque l’homme l’invite à ne pas s’inquiéter, il hoche la tête. Il a toute confiance en lui – à dire vrai, Andréa est probablement plus raisonné et raisonnable que lui ! Son endurance d’équidé fait qu’il n’a pas toujours conscience de ses limites.

_ Hm ? Oh, vous trouvez ?

Il rougit et passe une main dans ses cheveux, sous la gêne, il se dandine d’un pied sur l’autre, croise les bras en haussant les épaules. Malgré son humilité, il se sent fier et d’ailleurs, ne retient pas le petit sourire satisfait du coin de ses lèvres.

_ Je m’entraîne souvent ici, et j’y travaille ! J’ai intérêt à connaître tous les flancs de cette montagne, les anfractuosités et les défauts de terrain ! On n’a pas commencé par le plus simple, la première pente est très raide mais… c’est le chemin le plus sûr, il n’y a pas de risques d’éboulement, les prises sont solides. Ne vous en faîtes pas, je ne m’ennuie pas !

Il hausse les épaules.

_ On ne peut pas s’ennuyer. L’escalade, c’est un sport dangereux, il faut sans cesse réfléchir. Déjà, à l’avance, au chemin qu’on va remonter, et pendant, comment doser son énergie pour ne pas s’épuiser en cours de chemin… Je sais que j’essaye de prévoir après 3 ou 4 prises, une prise plus sûre où je peux récupérer. Vu qu’on est partis pour travailler l’endurance, je dois faire vraiment attention à m’imposer des moments de pause pour pas m’épuiser, c’est mon plus gros défaut, je monte avec impulsivité et après, arrivé à la moitié, je suis à bout de forces !

Il soupire en observant la façade.

_ Mon frère m’a mis à l’escalade pour que j’apprenne à réfléchir avant d’agir, puis pour me défouler. C’est un sport qui demande d’être attentif, et la montagne, on ne peut pas se permettre de ne pas la prendre au sérieux. Elle est plus redoutable que n’importe quel adversaire.

Ses yeux reviennent vers Andréa.

_ Et puis… Je suis là avec vous, pour passer un moment avec vous. J’aime vous voir grimper, c’est différent de moi. Et puis, ça permet de… de passer un moment ensemble, d’apprendre à se connaître. Tout à l’heure, je vous ai entendu rire et… là, je crois que vous êtes heureux d’être là, vos yeux brillent !

Un rictus malicieux éclaire le visage d’Ephraïm.

_ Même si nous ne parlons pas, nous avons des choses à apprendre l’un de l’autre. Donc ne vous inquiétez pas, je ne m’ennuie pas. On reprend ?

L’ascension reprend.

Les murs suivants sont plus simples, jusqu’au dernier où la montagne se dresse face à leur ascension. Et le goût du risque emporte Ephraïm ; car cette fois, il a un allié pour le sécuriser. Ephraïm ose s’hisser et rapidement, il se rend compte qu’il fait presque dos au sol, des centaines, des centaines de mètres plus bas. Les sourcils froncés, il se concentre sur ses prises, il se plaque à la paroi, son corps est en feu, sous l’effort. Son souffle, haletant, il ne l’écoute pas, il ne voit que la pointe, qu’il veut atteindre.

Aujourd'hui, pour la première fois depuis des années, Ephraïm saute, dans l'inconnu.

Il prend appui sur sa jambe, les yeux fixés sur la pointe, il bondit. Et sa main se referme dans le vide.

La chute est soudaine, il ne sent plus le soutien de la roche, il bascule, il tombe, la terre, veut l'engloutir.

Son cœur s’arrête, les quelques secondes, défilent et durent des heures, jusqu’à ce qu’on empoigne son haut, son souffle coupé, Ephraïm se retient, à la corde qui le sécurise. Pendu dans le vide, il reste quelques secondes, la tête penchée en arrière, les mains agrippées, à cet amarrage qui le retient sur terre.

Avec son frère, Ephraïm n’aurait jamais osé.

Par peur de l’effrayer, par peur qu’Uriel n’ose plus l’emmener.

Ephraïm n'aurait pas voulu prendre le risque.

Ses paupières s’entrouvrent. Son corps est tremblant, sous la peur, alors qu’un sourire béat éclaire simplement ses traits. Tout son corps est saisi de spasmes, son cœur cogne vigoureusement contre sa cage thoracique, il est en sueurs.

Pourquoi est-ce qu'il a sauté ?

Par confiance. Pas en lui, mais en l'homme qui l'accompagne.

Lorsqu’Andréa parvient à le sécuriser, Ephraïm reprend ses appuis et cette fois, décide de contourner le pic rocheux, pour arriver au plateau.

C’est à son tour, de sécuriser Andréa.

Il n’est pas descendu le rejoindre, il ne lui a pas fait de signe, si ce n’eut été, ce pouce levé pour le remercier, pour indiquer, d’un geste du bras, qu’il reprenait l’ascension. Malgré la peur, le jeune homme avait rapidement repris confiance, assez d’assurance, pour grimper.

Il avait assez confiance en lui, pour ne pas craindre l’erreur, pour prendre des risques, pour essayer, d’apprendre.

Il espère à son tour que tout ira bien pour Andréa et, gêné par la roche, ne peut se fier qu’à ce que la corde lui renvoie pour suivre sa montée. Concentré, il entoure la corde de ses mains, pour sentir ses mouvements, ses vibrations et la tension, contre sa peau.

Ils avancent, contre vents et marées.
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Ven 24 Nov - 1:10
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La froideur professionnelle de son excuse n’est pas sans bords aigus- elle est efficace afin de le protéger, l’empêcher de s’impliquer émotionnellement, une bogue hérissée autour de son cœur mais quiconque s’approche s’y pique; Ephraïm ne déroge pas à cette règle et c’est avec une pointe d’amertume que le vautour regrette de lui imposer sa lâcheté. Dans la longue liste de ce qu’elle lui avait reproché ce jour-là, justifiant les papier sur le bar de la cuisine -la table à manger si souvent délaissée, impeccable encore à ce jour-, ce défaut était revenu plusieurs fois, mis en lumière par celle qui pourtant l’avait targué d’étranger. Le voilà de retour pour le hanter, silencieusement.

Avant d’être un Milicien, Uriel Kurusu est un homme.
Lui, il n’est pas bien sûr de ce qui reste une fois l’uniforme enlevé: il a commencé si tardivement a essayé de l'exhumer…

Il se justifiera de ne pas avoir traîné sur le sujet soulevé par la pudeur, dédouané de s’y tremper par la conclusion du cadet, un mensonge blanc, silencieux. Andréa, de tous les Anima, ne saurait déterminer ce qui devrait être fait dans cette situation. Ce qui serait le plus bénéfique.

Mais il n’a pas besoin de le dire. Il n’a que besoin de se mettre des œillères, de prétendre ne pas avoir remarqué l’incertitude dans le sourire du garçon, et grimper.

(C’est ça, fait semblant de ne rien voir.)

L’effort et la concentration tait la petite voix criarde au fond de sa tête, cette partie critique intransigeante empruntant les répliques de ses pires souvenirs pour plonger ses serres dans les parties les plus tendres de son cœur. La dopamine salvatrice lui permet de ne pas craquer, plus indispensable encore que les capsules prescrites par son médecin-psychiatre, un dosage quotidien pour expulser ces toxines exacerbées par ses maux héréditaires. La silhouette blafarde de sa mère, prostrée dans son lit, n’est jamais bien, cachée dans son angle mort, ses cheveux sombres cascadant devant ses yeux trop similaires à la frange rebelle présentement épinglée. C’est une purge diablement efficace: elle brise un instant les murs étouffants de sa psychée, libère les émotions positives ensevelies sous la rancœur et l’anxiété, les fait ressortir sur son visage rougeoyant, souriant sans gêne, un “Oui, exactement.” s’échappant avant même que le souffle ne lui soit revenu.

Voir l’équidé s’éloigner du rebord fini de balayer la moindre trace d’inquiétude latente. Les poings posé sur les hanches, son regard s’amuse de voir ses flatteries agiter le jeune homme. Ses compliments tendent à être reçus de façon solennelle ou, dès lors qu’ils ne sont pas adressés à ses subalternes pour leur travail bien exécuté, jettent un froid malaisé sur ses échanges. Son ton n’est approprié qu’aux reproches, dissone avec la gentillesse: la rend plate, fausse, tiraillée entre formalité pré-conçue et maladresse gênante. Peut-être a-t-il été suffisamment adouci par les endorphines pour y échapper, ou peut-être Ephraïm sait faire fit de son affecte, trop préoccupé par ses réassurances.

Dans son euphorie hormonale, Andréa ne se flagelle pas de les avoir demandées, de façon détournée: il ne sent que la chaleur autour de son cœur palpitant qui se diffuse dans ses membres gourds, remontant le long de ses trapèzes jusqu’au sourire doux sur son visage qu’il ne sent qu’à l’instant où il est souligné.

L’embarras se propage à toute vitesse, vient raviver les couleurs de son visage qui commençait tout juste à reprendre sa pâleur usuelle, ses longs doigts venant couvrir sa bouche par réflexe alors que ses iris fuient subitement vers la paroi. Tout son corps se referme sur lui-même, mais la carapace n’a rien de perméable, ne le remet pas au point zéro, le pragmatique Capitaine, si droit dans ses bottes que l’on s’étonne de le découvrir capable de rire. “H-ha ?” Même la voix se casse, le force à se racler la gorge, reprendre un peu de prestance, mais la malice sur le visage du jeune homme l’arrête dans son élan, l’empêche de trouver ses mots immédiatement.

C’est vrai qu’il est heureux, mais il ne s’attendait pas à ce que l’on braque le projecteur sur lui,
que ce soit assez important pour le souligner.

C’est ça qui le met dans tous ses états, la honte profitant de l’adrénaline retombant pour le sermonner. Tu n’as pas l’âge pour te comporter ainsi, respire, reprends-toi. Il s’exécute, plie l’échine face à ce sentiment, lisse son visage avec un peu de difficulté avant de dire simplement. “Le sentiment est partagé.” L’admettre ravive les dernières rougeurs ne pouvant être effacée. “Reprenons, oui.” Il vaut mieux fuir ses démons en prenant de la hauteur avant qu’ils ne consument la moindre goutte de plaisir, libérer son esprit et se concentrer, question de vie ou de mort.

La difficulté du premier mur lui donne de l’assurance pour le reste de l’ascension, mais le vautour ne laisse pas l’audace l’emporter; il demeure humble face à la montage, ne tente jamais une manœuvre sans être certain d’y arriver. Les rares fois où son pied dérape, le reste de son corps est certain d’être suffisamment ancré contre la paroi pour à peine frissonner. Ephraïm, lui, semble se garder de laisser son enthousiasme l’emporter, fait écho à cette maîtrise sous-estimée que le vautour a observé lors de cette ultime visite même lorsqu’il se permet de bondir. Le risque semble toujours calculé, ses propres limites repoussées mais pas ignorées, assuré par la vigilance infaillible d’Andréa, en-bas, le menton levé vers le ciel.

C’est ce qu’il fait de mieux, ne jamais se relâcher. Sa poigne autour de la corde ne flanche jamais, pas une seconde, pas même lorsqu’un cheveux rebel vient lui chatouiller l’arcade sourcilière. Ses yeux scrutent si intensément la silhouette du jeune homme qu’ils donnent l’impression de ne jamais ciller, attentif au moindre signe avant-coureur d’une chute. Ils le suivent alors qu’il entreprend de gravir le pic rocheux; instinctivement, le noiraud plante ses semelles poussiéreuses dans le sol, détend ses épaules en laissant couler centimètre par centimètre la corde entre ses mains. Un mélange d’angoisse et d’exaltation naît dans ses entrailles, renouvelle les perles de sueur sur ses tempes moites. L’adversaire est impressionnant et pourtant, le jeune homme se lance dans sa gueule avec la confiance de celui qui pense pouvoir voler.

Mais Ephraïm n’a pas d’aile.

A l’instant où la gravité reprend ses droits sur lui, son aîné saisit fermement la corde qui tente de s’échapper: elle dérape une seconde à peine, brûlant sa paume alors que la tension le tire par l’avant. Il ignore le gémissement de sa hanche alors que ses pieds quittent le sol, se prépare à se réceptionner contre la paroi pour tirer de tout son poids vers le sol afin d’enrayer la chute; le temps de réaction est parfait, de même pour l'exécution. L’équidé pendant au bout de la corde ne risque rien sous son aile, et pourtant le vautour n’entend plus que le sang battant à tout rompre dans ses tympans, ses muscles tendus sous l’effort et son souffle profond tremblant à la place de ses mains. Une part de lui crie de le redescendre immédiatement pour laisser exploser la terreur figée derrière l’adrénaline, mais le pragmatisme la recouvre, doucement, celui-même qui a facilité son ascension au rang de la Milice.
Le jeune homme se stabilise,
Andréa attend.
Un pouce levé, et les prises sont retrouvées. Comme un enfant se relève après être tombé, Ephraïm ne va pas se réfugier, préfère continuer à monter, toujours plus haut, jusqu’à atteindre son objectif un peu plus sagement.

Cette hardiesse qu’il avait voulu réprimer doit être protégée. C’est sans doute ce qu’Uriel a fait des années durant, cultiver cette envie débordante d’affronter et de se surpasser, conforté par la certitude d’être là pour le protéger.
L’idée lui semble alien, n’évoquant que le souvenir lointain de la sécurité innée des bras de son père lorsqu’il était trop petit pour réaliser la fragilité des adultes. Toute sa vie, Andréa avait escaladé en solo, affronté les falaises par lui-même, rattrapé ses propres chutes, pansé ses blessures en silence. Il avait passé tant de temps avant d’enfin tendre la corde à quelqu’un d’autre, par accoup, prêtée le temps d’une séance puis reprise, jalousement gardée de ses proches, assurant à tous que l’ascension se passait bien quand bien même il stagnait sur le même plateau, épuisé.

Quel trésor, de savoir placer sa vie entre les mains d’un quasi-inconnu.
Est-ce encore possible pour lui de retrouver une telle confiance en les autres, et non leur capacité ?

La question reste sans réponse, repoussée le temps de se hisser au sommet. Raisonnable. Méthodique. Le vautour a trouvé son rythme, progresse mécaniquement, faisant attention aux éraflures sur ses paumes pour ne pas que la douleur ne le prenne au dépourvu. Il ne tente pas de réussir là où l’équidé à échoué: la compétition ne l’a jamais intéressé. C’est sans autre incident qu’il rejoint le plateau, poussant sur ses bras une ultime fois, ses muscles soulagés de pouvoir enfin se relâcher.
Il ne se lève pas, pas tout de suite, reprenant son souffle sans un mot, la sueur qu’il ne prend pas la peine d’essuyer mouchetant la roche poussiéreuse de minuscules tâches sombres, ses pensées réduites en palpitation sourdes par l’effort. La familiarité profite de ce moment d’égarement, entre reproche et admiration, pour se glisser entre deux halètements “Tu n’as pas froid aux yeux…”. Il lui a foutu la trouille: il la sent revenir dans ses genoux, et pourtant lorsqu’il relève enfin le menton vers le jeune homme, c’est avec un sourire sur les lèvres. “Signalez-le moi avant, la prochaine fois.”

Parce qu’il doit bien lui taper sur les doigts.

Il se détourne pour enfin poser le regard sur le chemin accompli. La brise crue lui brûle les sinus, mais il la hume profondément, remplaçant l’air vicié de la capitale dans ses poumons par celui de la montagne. Cette altitude sent la nostalgie, réveille en lui le désir profond d’étirer ses ailes et de rejoindre ce ciel qu’il ne peut qu’apercevoir entre les immeubles de Lunapolis. Le noiraud expire en un long soupir de contentement, retirant distraitement les petits débris nichés dans ses blessures. Malgré toutes les émotions chavirées par le contact de leurs mondes, Andréa se sent si apaisé, drainé de toute énergie. Ce serait si beau, de rester perché en hauteur toute sa vie, loin des soucis de la vie urbaine.

Mais si c’était le cas, il n’aurait sans doute pas connu l’équidé qu’il invite silencieusement à ses côtés en tapotant la roche. Son sac-à-dos fait un bruit sourd en heurtant le sol, libérer de la sangle qui le gardait de glisser de ses épaules. Il en sort, sans un mot, une petite trousse de soin mauve, un thermos et deux tasses en plastique qu’il remplit de thé d’orge fumant, posant l’une d’elle vers le jeune homme. Forcé d’en boire sans cesse par ses grand-parents comme s’il s’agissait d’une panacée miraculeuse protégeant de tous les mots, son goût âcre avait fini par prendre une note réconfortante au fil du temps, et le voilà qui reprend l’étendard: si le goût déplait aux papilles juvénile de son cadet, sa chaleur saura sans doute relaxer ses muscles tendus et le désaltérer.
Le vautour ne touche pas à sa tasse, s’affairant à désinfecter les éraflures rougeoyantes. “Merci encore de m’avoir accompagné, je n’aurais jamais pu venir ici sans vous.” La brûlure familière frémissant à la surface de la blessure n’est pas suffisante pour le sortir de ce calme méditatif, mais il n’en perd pas moins de vue l’objectif de cette escapade. “Comment vous sentez-vous ?” réitère-t-il en pressant une bande de gaze sur sa paume avant de se pencher en avant pour tenter de dérouler le scotch médical à l’aide de ses dents, la brise menaçant d’emporter le pansement s’il venait à la lâcher. Ephraïm avait tapé juste: leur façon d’appréhender la falaise intimait bien des choses sans même que les mots n’aient à s’en mêler, tant qu’il était dur de ne pas se sentir nu sans l’assurance de savoir ce que son corps avait bien pu laisser transparaître. Mais tirer ses propres conclusions ne servait à rien sans tenter de voir le jeune homme à travers ses propres yeux. Afin d’honorer sa promesse, il a besoin de plus de données, d’apprendre et de comparer, alors il se tait.
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Ephraïm Kurusu
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Dim 24 Déc - 17:29
Sourire fugace, sur les lèvres.

Ce n’est pas comme Uriel, qui sourit toujours, quoi qu’il se passe : la seule image de son frère, est celle de ces lippes étirées et de ses yeux doucement plissés, il ne l’a jamais entendu, crier, il ne l’a jamais vu, pleurer ou même, agacé, rien d’autre, que cette joie constante, enveloppante, étouffante. Andrea, est si différent. Faciès impassible, comme la surface, d’un lac gelé. Qui se fend soudain, d’un sourire, les rougeurs, montent aux joues et le regard, fuit le sien, Andrea se cache même, derrière sa main.

Comme si, l’émotion, est une honte, comme s’il vaut mieux, la dissimuler.

Ephraïm sent son cœur se serrer. Lui, tant épris de liberté, n’a que trop conscience de ces cages dans lesquels l’on s’emprisonne. Ses émotions ont toujours fait du bruit : brisant les tabous et les interdits, le poussant à agir, d’une façon qui ne correspond ni à son éducation à ce qu’on exige, mais il ne parvient pas à changer. Et à dire vrai, il n’est plus si sûr de vouloir cadenasser tout ce qu’il peut, ressentir. Il n’a jamais réussi à fermer la porte au nez, de ses émotions, d’un coup de pied, elles fracassent l’entrée, elles s’échappent, hors de son contrôle, il a compris qu’il ne fallait plus même chercher à les contenir. Les vivre, est le meilleur moyen de se maîtriser. D’apaiser la tension, qui bouillonne toujours au fond de ses veines, tout ce qui ne demande qu’à sortir.

Le voir se reprendre, contracte ses muscles, empathie, d’un combat auquel il assiste et auquel il aimerait tant apporter son soutien : non pas à la raison, mais à tout ce qui se retrouve contraint, de battre en retraite. Il sait que l’affrontement n’est que reporté : d’ici quelques minutes voire quelques heures, le cœur repartira à l’assaut, il y aura une nouvelle bataille et cela continuera, jusqu’au jour où il n’y aura plus de chaînes, pour les contenir.

Ces émotions, finissent-elles par mourir ? Un jour ou l’autre, les coups finissent par les vaincre, mais finissent-elles réellement, par disparaître ? Les cadavres qu’elles laissent derrière elles pourrissent, souillent l’âme et tout ce qu’elle, perçoit ; aigreur, d’une vie qui n’a plus aucune saveur, d’un esprit qui se détache, de tout ce qui pourrait le faire ressentir. Isolement, désespoir, abandon, cette bataille parfois remportée par la raison, entraîne la perdition.

C’est ce qui est arrivé à Uriel.

Ephraïm le sait, maintenant.

Il sait, que derrière ce sourire, se cachaient tant d’émotions qui n’avaient pas leur place, qui n’avaient pas le droit, d’être. La honte, la colère, la peur, la souffrance, tout réunis en une abomination, qu’il a tout fait pour tuer, jusqu’à se réfugier, dans les produits pour ne plus ressentir.

Qu’en est-il d’Andrea ?

Cette pensée reste ancrée, dans un coin de son esprit ; mise de côté, sans être oubliée, pendant que son corps s’anime, ses muscles roulent, il défie, la gravité. L’effort contracte les muscles, gonfle les veines, les lèvres se rétractent dans un rictus. Il aime sentir la résistance et même, la douleur, lorsque les vagues heurtent son corps, lorsque la pierre, râcle sa peau, quand tout son poids, tire sur ses articulations, c’est ainsi qu’il se sent fort, qu’il se sent entier, qu’il a l’impression, de ne plus partir en morceaux.

Son corps reste un champ de batailles, où les émotions sont des cavaliers dont la course effrénée, laisse son corps éreinté, l’impression d’être toujours au bord, de l’implosion ou de l’explosion, il arrive qu’il saigne et c’est alors qu’il réalise, qu’il a toujours son corps pour le contenir. Qu’il ne s’est pas éparpillé.

La montagne veut l’engloutir ; mais elle est un adversaire, qu’Ephraïm n’a jamais craint.

La peur, n’est qu’un galvaniseur.

De ce qui éveille, toute sa rage et sa combativité, cette envie de vivre qui embrase, ses veines, l’adrénaline pétille, ses chairs s’embrasent, son corps, s’allège. Sa puissance afflue, jusqu’au bout des doigts. Sans se sentir, invulnérable, il ne s’est jamais senti aussi vivant, aussi libre, de ressentir – l’idée, de son corps éclaté contre les pierres, ballotté par les vagues de l’océan, est libératrice. Expiatrice. Le mal sortant, des plaies béantes, tout ce geyser qui surgit, non pas en cris, non pas en coups, mais en flots de sang.
Il n’a pourtant aucune intention de mourir, ne s’est jamais infligé volontairement de scarifications, mais ses blessures l’apaisent, la douleur, le canalise, comme le fait si bien les étreintes de son frère.

Il n’a pas douté un instant d’Andrea, à dire vrai, il n’a pas même pensé qu’il aurait pu le lâcher, qu’il aurait pu, ne pas réagir, pas à temps : car dès l’instant où il a accepté sa présence à ses côtés, il a aussi accepté le risque et les erreurs, l’humain et ses imperfections.

La montée reprend, sans plus le moindre incident ; Ephraïm grimpe même, avec une énergie ravivée, jusqu’à enfin, atteindre le sommet. Quand les rôles s’inversent, Ephraïm veille à bien consolider la corde, plante déjà ses talons dans le sol, s’ébroue un peu, avant de surveiller la progression de son capitaine. Jusqu’à ce qu’Andrea, arrive au sommet à son tour.

Sourire, pour simple parole, Ephraïm se rapproche de quelques pas en enroulant la corde, puis lève simplement les yeux pour contempler toute l’île, qu’on voit si bien d’ici. Le vent frais, s’engouffre dans ses cheveux qu’il prend la peine de recoiffer en un chignon serré. Lorsqu’il reprend la parole, Ephraïm lève les yeux.

Son expression trahit, fierté et une certaine, gêne ; flatté, que son courage soit remarqué, tout en ayant conscience qu’il a inquiété Andrea par cet acte inconsidéré. A son invitation, il s’assoit à ses côtés et repose ses coudes sur ses genoux, observant la vallée.

_ D’accord, je vous préviendrai. J’essaierai.

Il lui adresse une œillade complice, avant d’hausser les épaules, puis masser ses propres paumes en baissant les yeux.

_ Je ne voulais pas vous faire peur… J'ai tenté, parce que je me sentais en sécurité avec vous.

Il a confiance en lui.

Il repose finalement ses mains derrière lui pour étirer légèrement son dos et laisser finalement pendre ses jambes dans le vide. Agitant paisiblement les pieds, il penche doucement la tête sur le côté, puis redresse vivement le torse en clignant des paupières.

_ Merde, vous vous êtes blessé… ? Je suis désolé…

Inquiet, Ephraïm observe les éraflures et cherche dans son propre sac, en sort un désinfectant, un peu de pommade, des bandages, sans vraiment demander l’avis d’Andrea, il lui offre son soutien en tant qu’assistant : l’aidant à nettoyer les éraflures, à éponger le désinfectant ou le sang, voyant que le vent, menace d’emporter le pansement, Ephraïm le tient avec fermeté. Les sourcils froncés, comme si cela allait suffire, à ce que la brise s’apaise, jusqu’à ce que la plaie, soit pansée. Soulagé, Ephraïm range le tout, attrape la tasse pour en humer l’odeur.

La fragrance âcre ne le dérange pas, au contraire ; il y a des goûts dont l’équidé raffole et d’ailleurs, il en boit une gorgée goulue, gourmande, jusqu’à se pourlécher les lèvres.

_ Qu’est-ce que c’est ? C’est bon ! Moi j’ai ramené des barres de céréales, est-ce que vous en voulez ?

Il lui tend une barre enveloppée par du bee-wrap : les céréales sont constituées d’orge, d’avoine et de quelques pépites de chocolat, le tout colmaté par du miel. Ephraïm en prend une bouchée, qu’il prend soin de mâcher tout en laissant retomber ses jambes dans le vide.

_ Je me sens bien. Je suis heureux d’être monté jusqu’ici. Merci à vous aussi, de m’avoir accompagné. J’ai déjà hâte qu’on puisse recommencer.

Il affiche un rictus carnassier, celui d’une âme, qui n’en est ni à son premier ni à son dernier affrontement et qui s’est enfin, trouvé un allié. Mais il y a des combats, qu’il est parfois bien plus difficile de mener. Ephraïm reprend une gorgée de l’infusion âcre, laisse cette aigreur perdurer sur ses papilles, alors qu’il baisse un instant les yeux.

_ Et vous ? Comment est-ce que vous vous sentez ?

Ses prunelles se braquent sur Andrea, qu’il dévisage longuement.

_ … Qu’est-ce que vous avez ressenti, quand j’ai sauté ? Est-ce que… Est-ce que vous avez eu peur ? Est-ce que vous avez été en colère ? Ou est-ce que vous avez ressenti d’autres choses ? Et maintenant qu’on est là-haut ?

Ses yeux reviennent vers la vallée.

_... A quoi est-ce que ça vous fait penser… tout ça ?

Il désigne, la montagne ou devant eux, peut-être, d’autres choses, alors qu’il fait songeusement tourner la tasse entre ses doigts.

_ Moi… Je pense à Uriel. Et à notre dernière discussion. Je vous ai dit que je voulais contrôler davantage mes émotions. Mais en fait, je ne sais plus vraiment, si j’ai envie de le faire…

Il marque un silence. Le souvenir de ses pleurs. De ses cris. De tout ce désespoir qu’Ephraïm s’est pris, en pleine face. Le sourire d’Uriel, n’est plus reconnaissable sur les photos, Ephraïm n’est plus sûr d’y lire, la joie.

Perdu dans ses pensées, Ephraïm reprend, d’une voix douce, les épaules, légèrement affaissées, la tasse à présent immobile, entre ses doigts.

_L’on se souvient toujours, de son sourire. C’est ce dont tout le monde parle. Mais il m’a dit qu’il n’allait pas bien. Qu’il cachait tout ça, derrière son sourire. La dépression. La tristesse. La colère. La honte, la peur, les angoisses. Par peur, de décevoir, par peur, qu’on le trouve faible. Et il a peur du regard des autres.

Ephraïm redresse les yeux vers Andrea.

_ … Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Faut il donc, tout cacher, tout maîtriser ?

Ses yeux reviennent vers la vallée, il pense voir sa maison et sourit, se disant peut-être qu’Uriel est à la fenêtre.

_  Mes émotions ne me dérangent plus. C'est certains comportements que je dois peut-être changer mais... Je crois que j'ai besoin d'elles pour vivre. Pour avoir l'énergie de me battre, pour avoir l'envie, de faire des choses, pour exister, en tant qu'Ephraïm. Je suis sensible ? Tant pis. Mes émotions dérangent ? Tant pis. Je suis comme ça.

Il hausse les épaules et fronce les sourcils.

_ Si j'ai quelque chose à dire, je le ferai. Je ne veux plus avoir de regrets. La vie... C'est si fragile. Et Avec Uriel... je regrette tellement de choses. De ne pas avoir été à son écoute, de ne pas avoir su voir les signes, de ne pas avoir su lui laisser la place pour parler.

Il soupire et repose ses coudes sur ses genoux, presque penché au dessus du vide, il regarde pourtant le ciel.

_ Vous savez je... Je suis très heureux de vous avoir rencontré. D'avoir grimpé avec vous. Et puis je vous suis reconnaissant d'être venu voir Uriel, je suis sûr que votre visite, ça l'a aidé à revenir. Et hm... même si j'ai changé d'objectif, je pense que ça peut toujours être intéressant d'avoir des outils ou juste, faire d'autres choses ensemble. Est-ce que ça vous en auriez l'envie ? Moi, hm... Ca me ferait plaisir.

Il le sait, seul, et Ephraïm, ne l'abandonnera pas.
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Dim 7 Jan - 17:21
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Une demi-promesse, réaliste mais qui lui fait froncer les sourcils, réprobation silencieuse échappée bien avant de pouvoir la rattraper. Il est vrai qu’Andréa préfère les absolu, n’a tristement patience que pour les erreurs qui ne sont pas répétées, mais ce petit accroc, cette insurgence envers la gravité, mérite-t-elle réellement tant de sévérité ?

Son pragmatisme l’affirme: cela aurait pu être soldé par un drame. Son cœur lui aussi se joint à la raison, tremble à l’idée que sitôt un fils retrouvé, la famille Kurusu doive en enterrer l’autre, alors qu’il était sous SA responsabilité.  

Que ce biais funèbre dont il ne peut se séparer soit confirmé.

Mais le jeune homme hausse simplement les épaules, remet le doigt au bon endroit, comme s’il sentait son pouls s’emporter rien que d’y songer; son honnêteté coupe court à ses pensées, déride son front marqué par trop d’année passée à sans cesse sermonner.
Même s’il l’avait exprimé, Andréa avait oublié de considérer sa réponse émotionnelle comme une conséquence de l’hardiesse de son cadet; un détail inconséquent à ses yeux, bien loin des véritables enjeux. Le jeune homme a pourtant les yeux baissés, excuse silencieuse pour le souci causé. Le reste des angoisses de son aîné finissent d’être balayées par la confiance admise naturellement, sans gêne.

Il sait, qu’il est quelqu’un sur lequel on peut compter; c’est ce qu’il s’échine d’être depuis des années. C’est peut-être même le seul mérite auquel il peut prétendre tant il s’y est jeté à corps perdu, négligeant tout le reste pour ces miettes de reconnaissance.

Et pourtant, le vautour demeure affamé, son sermon tût car il faut l’apprécier ce qu’on veut bien lui donner, chérir ce sentiment, les paupières fermées, le cœur frémissant.

Je me sentais en sécurité avec vous.

Il ne sait exactement combien de temps il est resté avec cette émotion. Interrompu, il était resté la trousse de secours sur les genoux, sa paume éraflée ouverte vers le ciel. “Pas d’inquiétude, ce n’est pas votre faute.” Ses réflexes et le manque de fermeté avec laquelle il avait attrapé la corde étaient les seuls coupables, mais il ne retire pas pour autant sa main; si les mots échouent là où la douceur faisait défaut à son ton, l’impression d’aider à réparer ce tort perçu apaiserait sans doute la culpabilité de son jeune compagnon; c’est ce qu’il avait fait toutes ces années avec ses pèlerinages incessants à son domicile, alors qui serait-il pour l’en priver.

Ensemble, il ne faut qu’un instant pour que l’éraflure soit reléguée aux notes de bas de page de cette journée, juste le temps d’admirer le travail bien fait et de remercier son assistant improvisé. Elle ne laissera pas plus de marque que la chaleur de la tasse rougissant le bout de ses doigts, délaissée juste assez de temps pour prendre une gorgée plus mesurée que celle de son cadet dont l’enthousiasme fait naître l’ombre d’un sourire, une ridule sur la surface plane de son visage. “De la tisane d’orge grillé.” répond-t-il avec un brin de fierté. C’est si intriguant de se laisser étonner par les goûts de l’équidé, des fraises sucrées au doux amer acquis de l’orge infusé, quel palais développé. L’échange est gracieusement accepté, la barre de céréale attrapée du bout des doigts, délicatement. “J’en avais horreur, enfant.” confesse-t-il à sa propre tasse, profitant des notes presque caféinées avant qu’elle ne soit chassée par le miel. “Si ça vous plaît, je vous en apporterai.” Sans deuil rattaché, un présent pour les vivants.

C’est bien ce qu’ils sont, Andréa le sent, vivement; de la fatigue exquise de ses muscles aux baisers glacés de la brise sur sa nuque humide, les battements régulier de son coeur et ses pensées claires jusqu’à l’île qui s’étend à perte de vu sous eux, regorgeant de vie. Il ressent, du haut de cette euphorie une affection presque vertigineuse pour ses semblables; l’envie de les protéger, de les aider, qui prend de l’ampleur en posant à nouveaux les yeux sur le noiraud. “De même.” A l’instar de son vis-à-vis, son sourire fait écho à la mesure de ses mots; simple et discret, sa sincérité un peu moins difficile à déceler grâce aux muscles pour une fois relâché; sans tout à fait le réaliser, sa posture s’est décontractée, une longue jambe pendant elle-aussi au-dessus du vide, l’autre ramenée contre son torse.
Le voilà quelque peu rassuré. Peut-être qu’Ephraïm n’a que besoin de se dépenser, peut-être son trop plein d'émotions s’était-il envenimé pendant ces huit longues années, les circonstances trop intenses pour ne pas déborder. Cet espoir a le même goût sucré que la barre dans laquelle il mord enfin, l’arôme prépondérant du miel presque intensifié par l'âcreté de la tisane, une douceur à laquelle son palais n’est plus accoutumé mais qui reste néanmoins appréciés, le corps quémandant ses glucides afin de se remettre de ses efforts.

Le silence n’est pas éternel; la question retournée le prend à nouveau au dépourvu. C’est qu’il doit bien avoir laissé ses réflexes de Miliciens chez lui, un vrai jour de repos mental dont son psychiatre pourra le féliciter, même si le vautour a toujours été plus facile à prendre au dépourvu sur le plan émotionnel que physique. Lâchement, il se contente de soutenir le regard du jeune homme jusqu’à ce qu’il s'épanche sur la question, lui donnant l’opportunité de se concentrer sur l’extérieur plutôt que l’intérieur. Son cas n’as pas d’importance: c’est Ephraïm qui a demandé son aide. Contrairement au pansement sur sa paume, Andréa résiste, se cache derrière des vérités qu’il sait être fausses: c’est lui l'aîné, le supérieur, celui supposé prodigué conseil et sagesse, ce n’est pas responsable de mettre ses problèmes sur les frêles épaules de son cadet.

A la mention du revenant, il finit de se convaincre de repousser ses propres état-d’âme au fond de lui, se concentre sans un mot sur les maniérismes du jeune homme, note les pauses et le calme presque grave contrastant si fortement avec son enthousiasme débordant auparavant. Il ne remplit pas le silence, le laisse s’étendre, sans troubler la réflexion apparente du noiraud. Voilà les préoccupations qui ressortent, la tête et le corps déchargé d’énergie parasite, la réalité derrière le retour à la vie inespéré d’Uriel. Le vautour lui laisse l’espace pour dérouler le fil de sa pensée. Va-t-il le lui reprocher ? Andréa s’est toujours voulu auditeur attentif, mais ce qui semblait se refléter dans les yeux de son ex-femme n’était qu’un mur silencieux.
(arrête de me regarder comme ça et dit quelque chose putain)

Mais sans intervention, Ephraïm semble toucher quelque chose; arriver à tisser des liens entre ces pensées éparses pour en tirer des conclusions. Ce mutisme, ce n’est pas du désintérêt, bien au contraire; ça, il aurait voulu pouvoir le communiquer, plutôt que de     ressentir la pression de s’exprimer pour ne faire qu’envenimer ses disputes. Il avait appris, à ses dépends, que décortiquer logiquement les soucis des autres n’était pas toujours approprié, qu’il ne cherchait pas toujours une solution.

Il se souvient encore comme elle avait pleuré, excédée.
Elle voulait juste être consolée.
(ça aurait été hypocrite de lui reprocher de ne pas avoir simplement demandé)

Il n’est plus sûr de quelle façon aborder les faits, détourne enfin les yeux pour les lever vers l’azure interminable sans réellement regarder l’effiloché cotonneux striant le ciel. Il n’y reste qu’un instant de flottement, n’a pas encore tout à fait fini de lui-même démêler ses pensées avant que l’équidé ne reprenne; finisse de vider tout ce qui restait, lui donnant un échappatoire à cette conversation compliquée, digression salvatrice qui lui fait enfin reprendre la parole. “Oui… Ça me ferait plaisir, aussi.” Les paroles empruntées sont hésitantes là où le sentiment est assuré. Passer du temps avec Ephraïm a beau soulever bien des émotions compliquées, il ne peut nier apprécier sa compagnie, diverti par la collision de leurs mondes.
Non, ce qui le chicane, lui fait froncer les sourcils, le menton appuyé sur son genou relevé, est de repasser minutieusement tout ce qui a été étalé, d’y percevoir quelque chose, sous les mots. Ses lèvres font une grimace, comme s’il essayait de sourire sans sourire, pressées entre elles alors qu’il enlève l’épingle de ses cheveux, sa frange alourdie par la poussière et la sueur tombant devant son visage. “Je crois comprendre que vous avez eu une conversation difficile avec votre frère.” L’inconfort d’en savoir déjà trop le garde de toute curiosité mal placée; ces révélations n’ont pas fait s’évanouir le respect qu’il avait pour Uriel, bien que celui-ci lui laisse à présent un arrière goût amer, sa propre part de culpabilité pour l’avoir mis sur un piédestal. “Pour ma part, je ne pense pas que maîtriser ses émotions soit néfaste.” Son regard plonge dans le vide, sa réflexion nullement perturbée par la vision vertigineuse. “C’est même nécessaire dans certains cas, comme notre travail; un Milicien ne peut agresser un civil sous le coup de la colère même si celui-ci est responsable d’un crime odieux, tout comme il ne peut pas céder à la peur face au danger.” C’est la Milice dont il rêve: pas des bourreaux, pas des tortionnaires, mais des gardiens de la paix, une épaule sur laquelle les plus faibles peuvent s’appuyer. “Il ne peut pas non plus jouer au justicier, au risque de mettre les autres en danger; toutes les émotions intenses, même positives, nuisent à notre jugement. Ce n’est qu’en les maîtrisant que l’on peut prendre les bonnes décisions.” La leçon est scolaire, moralisatrice; elle lui ressemble en tout point, n’est pas dissimilaire aux discours mainte fois répété à ses Hommes. “Cependant, maîtrise et apathie ne sont pas sœurs.” Le rire qui lui échappe n’a rien à voir avec le précédent, amer, il paraîtrait presque chargé de honte s’il n’adressait pas un regard à son cadet. “Bien que ce puisse être l’image que je renvoie.”

Le rictus disparaît derrière la tasse; le thé tiède fait chasse les derniers arômes sucrés, son goût âpre plus adapté au sujet. La nervosité a raidi sa posture, sa jambe rejoignant l’autre contre son torse pour être enlacée par ses bras, ses cheveux menaçant de se coller dans la barre à peine croquée. “J’ai failli être expulsé de l’académie, vous savez.” Roulé ainsi en boule, Andréa se sent tout petit, presque aussi petit qu’il l’était à cette époque, avant d’être frappé par la puberté qui s’était tant fait désirer. “Mes appels a l’aide ont été ignorés alors j’ai pris sur moi, mais j’ai fini par exploser et blesser un de mes camarades.” La catharsis du sang éclipsée en un clin d'œil par le théâtre de ses actions, la culpabilité poisseuse de non pas regretter son élan de sauvagerie, mais de craindre uniquement les répercussions, égoïste, barbare. “Pour être tout à fait honnête, une part de moi pense toujours que c’était mérité.” Peut-être toujours un peu dégoûté d’avoir eu à s’excuser, les plaies de ce petit garçon jamais soignées dont il doit maintenant s’occuper; être son propre parent pour ramasser les pots cassés là où les adultes avaient failli. Un long processus dont il est loin d’être maître, mais l’avouer en fait partie, fait assez de bien pour qu’un soupçon de gaieté éclaire son visage sérieux. “Mais j’ai failli tout perdre ce jour-là, piétiner tous mes efforts sur un coup de sang.”

Le vautour se déplie enfin, la brise faisant ondoyer doucement ses cheveux lâches. Son visage s’adoucit en se tournant vers le noiraud, mais la douleur remuée pointe faiblement au fond de ses yeux sombres, rend son sourire aussi doux-amer que l’arôme qui a rythmé toute sa vie, au point de s’y habituer. Peut-être y a-t-il une parabole à voir dans le fait qu’il continue à en boire bien qu’il n’y soit plus forcé, capable de faire ses propres choix, mais il décide de l’ignorer, finissant sa tasse en une dernière gorgée.

“Je n’avais ni aide, ni exutoire pour mes émotions, alors elles ont grandi au point de prendre le dessus sur la raison.” Pour la première fois depuis des décennies, l’âpreté du fond de la tasse lui plisse le nez, grimace à peine contenue détonnant avec sa froideur habituelle. “J’étais aussi un enfant sensible, et même si je ne pense pas que je ressentais mes émotions aussi intensément que vous, cela ne serait peut-être pas arrivé si je les avais partagées.” Le terrain est délicat; le vautour déteste être mal-assuré sur ce qu’il avance ou se mettre en position de faiblesse. Mais il sait qu’Ephraïm ne cherchera pas à le blesser, qu’il peut lui aussi étendre la même confiance qu’il lui a si facilement accordé. “Et même si j’avais mon père, je n’ai pas pu lui en parler.” Ego mal placé, méfiance acquise, éducation loupée, il y a tant de facteurs, tant de variables qui peuvent pousser à se renfermer. Il a été forcé de les observer de près, de déterrer son passé pour remonter les racines de ce qui l’entrave et constater qu’il n’existe pas une source avec laquelle faire la paix, mais des milliers. “Je pense… Que votre frère lui aussi, n’a pas pû en parler.” Ses lèvres lui paraissent inconfortablement sèches, la conscience de son corps soudainement déplaisante. Angoissé d’oser assumer. “Vous ne pouvez pas vous rendre entièrement responsable de sa situation, surtout pas vous- vous n’êtiez qu’un enfant, Ephraïm.”

Tout comme il avait dû apprendre à ne plus s’en vouloir, d’être né; d’avoir volé cinq années de la vie de sa mère, perdue à jamais. “Pardonnez-moi, ce n’était pas la question, mais… J’imagine que je voulais vous consoler, bien que je pense tout ce que j’ai dit.” Dans ce domaine, il n’est pas des plus doué; a plus l’impression d’avoir remué des sables douloureux que d’avoir su conforter, assez pour trouver refuge derrière sa paume dans un soupir frustré, comme si sa frange ne suffisait pas. “Il est sage d’apprendre de ce qui s’est passé, mais ne faites pas l’erreur de croire que cela veut dire que vous n’avez pas été une source de bonheur ou que vous avez failli votre frère car vous n'aviez pas la prescience de savoir ce qu’il se passait.” C’est dur, de tenir responsable autrui de ne pas avoir demandé de l’aide; d’autant plus lorsque l’on en est coupable, que l’on sait pertinemment ce qui vous en a empêché. “Dans tous les cas, la leçon que vous en avez tirée me semble appropriée. Au fond, ce n’est peut-être pas tant une histoire de maîtriser vos émotions, mais vos comportements, ou vos réactions face à celles-ci. Les ressentir, les partager… C’est tout aussi important, peut-être même plus.”

Quel score lui donnerait son ex ? La moyenne ? Elle lui demanderait probablement de la prendre dans ses bras, mais Andréa se voit mal apporter le moindre réconfort physique à son cadet, préfère fouiller dans sa trousse à la recherche d’un baume à lèvre pour ne pas rester pétrifié. “Enfin… Je radote, je crois. Vous êtes fondamentalement quelqu’un de bien, Ephraïm, et je pense que vous ne méritez pas de vous flageller ainsi.” Il a beau regarder son visage dans son petit miroir de poche et constater, avec embarras, la magnésie lui ayant échappé, qu’il l’époussette promptement, ses pensées n’ont pas quitté leurs conversations; il peut, à vrai dire, être témoin de tout ce qui transparaît sur ses traits si notoirement fermés. Cette honte instinctive lui fait fermer le miroir, les yeux baissés, resservir un peu de thé à son compagnon. C’est peut-être tout aussi bien qu’une étreinte. “N’importe qui vous ayant dans sa vie est quelqu’un de chanceux et… Je suis heureux de savoir que vous appréciez notre temps passé ensemble, même si mes méthodes ne vous sont finalement pas si appropriées.”

Même s’il ne lui est pas utile, même s’il n’a rien à lui apporter, même s’il peine à comprendre les traits d’humour et qu’il n’est pas parfait. C’est si triste à avouer, mais Andréa, même à son âge, peine encore à tout faire accepter cette vérité: que l’on veuille fréquenter l’homme et non pas le Milicien, que l’on ne sera pas déçu par ce qui se cache derrière l’uniforme. Il craint, sans doute, qu’Ephraïm ne finisse par constater ce qu’il pense être; une personne ennuyeuse, lâche, qui ne sait elle-même plus qui elle est. Mais ça lui fait tant plaisir, de passer du temps avec lui, qu’il veut bien prendre le risque d’être perçu, tant que cela dure.
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Ven 9 Fév - 11:15
_ Ca serait avec plaisir. Mon frère aimerait beaucoup goûter aussi sûrement !

Assure Ephraïm et son sourire se fait si sincère, qu'à cet instant, la ressemblance avec Uriel est frappante. Sérénité, d'un regard bleu à présent éclairé, d'un sourire qui persiste alors qu'il tourne les prunelles vers l'horizon, vers l'avenir. Ephraïm n'a pas envie de lui dire, qu'il est le seul herbivore de sa famille, que la viande et le poisson ont presque le même goût sur ses papilles, alors que tout ce qui est végétal est un véritable panel de saveurs. Il n'aime pas rappeler que son anima n'est pas de celle qu'on attend à la Milice, il n'a pas envie de se gâcher le moment, seulement profiter de l'instant.

_ … Vous avez appris à aimer ? A force d'habitude ou c'est venu en vieillissant ?

On dit que le palais change avec le temps. Ephraïm pense à ces éclairs à la fraise qu'il adorait ! Et qu'il trouve à présent répugnants. Ca ne l'empêche pas d'en acheter. Par nostalgie. Pour retrouver un petit bout d'innocence, revivre un moment d'enfance.

L'homme à ses côtés sourit. Très doucement. C'est si discret, sur son visage et pourtant, il est si différent. Les muscles relâchés, une jambe se balançant doucement dans le vide, une autre ramenée contre son torse, Andréa, pour la première fois depuis qu'ils se connaissent, semble détendu. Et pourtant, il est si attentif. Les mots qui s'échappent de ses lèvres, trouvent le silence et leurs yeux se sont unis. Andréa est présent. Et ça lui suffit.

Uriel prenait toujours ce temps, lui aussi. Le laisser développer, réfléchir, penser, sans l'interrompre, sans juger, sans s'agacer, sans s'impatienter. Leur père, chargé de communication pour la Milice, trouvait toujours à redire aux mots employés, sa mère, quant à elle, s'impatientait si les phrases étaient trop longues. Et pourtant, ils n'avaient jamais réussi à le réduire au silence : quand personne ne l'écoutait, Ephraïm savait très, trop bien, se faire entendre. D'un éclat de voix, d'un coup sur la table, son corps qui se dresse, à chercher sa place, à se faire, un peu d'espace.

Mais avec Andréa, il n'y avait pas ce besoin. Sa voix reste douce, il est presque surpris d'ailleurs, de constater qu'il peut murmurer sans que le vautour ne perde le fil de ses phrases.

Puis le corps abandonne sa posture d'attente ; d'un geste lent, Andréa défait l'épingle, retombe la lourde mèche, devant les yeux de l'homme. La grimace trahit une tension un instant ravivée et c'est au tour d’Ephraim d'écouter.

Et le corps se replie presque en position foetale. Les longilignes jambes ramenées contre son torse, comme pour écraser, tout ce qu'il peut ressentir au fond de ses entrailles. Ses cheveux pour barrage, il n'y a presque plus rien de visible, comme s'il voulait échapper à son regard. Etonné, Ephraïm cligne des paupières, le dévisage quelques secondes, incertain. Doit-il détourner les yeux ? Se sentirait-il mieux ? Alors docilement, il lève finalement les yeux vers l'horizon de nouveau.

Expulsé de l’Académie ?! Andréa ?!

Les yeux écarquillés, le souffle coupé, Ephraïm lui adresse un regard décontenancé ; sa bouche s'entrouvre, la question s'interrompt derrière ses lèvres qui viennent de se sceller, il ravale sa salive et détourne aussi vite la tête, essayant de respecter son besoin d'intimité. L'impulsion a bien failli lui échapper, et l'équidé frotte un peu l'un de ses talons contre le sol.

Comment est-ce possible ?

Andréa, l'homme connu pour sa droiture, pour cette maîtrise totale, pour son efficacité redoutable. Ephraïm en a presque le vertige et réalise avec surprise que son cœur s'est emballé dans sa cage thoracique. C'est un peu comme si un bout de son monde s'écroulait - mais la perte d'équilibre n'est qu'éphémère, quand un vrai relâchement se répand dans son poitrail.

Andréa n'est pas parfait.

Lui aussi, commet des erreurs, lui aussi a peut-être des difficultés avec ce qu'il ressent. Et ça le soulage de voir qu'il n'est pas le seul dans cet apprentissage.

Ephraïm a ramené une jambe contre lui, l'autre toujours dans le vide. Un coude s'appuie sur son genou, et le jeune homme reste toutes ces longues minutes, presque immobile. Agitant simplement le pied, sa main devant son visage, fait songeusement tourner un caillou qu'il a ramassé pour s'occuper les doigts. N'importe qui les aurait vus, aurait cru qu'ils avaient échangé d'âme : car pour une fois, ce n'est pas Ephraïm qui ne tient pas en place.

Mais la grandeur du Mont Hurleur, la fraîcheur de l'air, il y a quelque chose ici, qui fait qu’ Ephraïm ne se sent jamais emprisonné. Ne sent jamais cette pression sur ses épaules ou dans cette cage thoracique. La liberté, de respirer sans se sentir étranglé, de bouger s'il le désire, sans la pression sociale d'une foule ou de regards.

Seul face à l'immensité, il a l'impression d'être comme Uriel devant l'océan : submergé par une grandeur accueillante, au sein d'une nature qui peut endurer absolument tous ses états d'âme sans même s'en sentir troublé. Ses colères passent sur le Mont comme une rivière, sa joie, éclot sur les plateaux, la tristesse au fond des ravins, ici, il sent, vit, se sent étrangement entendu, par la flore pourtant silencieuse.

Il a tout l'espace, d'être. Sans oppresser, et sans se sentir piétiné.

Ses sourcils se sont froncés, un instant. Ses yeux bleus se sont ombragés, d'un agacement qu'il ne veille pas à dissimuler. Ce n'est pas contre Andréa, non…

_ … Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ?

Il demande, levant finalement les yeux vers l'homme pour le regarder droit dans les yeux.

_ Pour que vous en veniez à là… Comme vous dites, je comprends que ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase… Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ?... Qu'est ce qui fait que vous avez explosé ?

Il veut savoir. Par devoir de mémoire. Par respect, pour l'homme à ses côtés. Sa main s'est refermée sur la pierre alors qu'il a dressé fièrement la tête pour fixer l'horizon.

_ C'est injuste. Vous avez réagi pour vous défendre, parce que personne n'a prêté l'oreille à ce que vous exprimiez. Vos limites, votre souffrance, votre ras le bol… Je sais que ce n'est pas à moi de le faire mais… Je suis désolé. Que vous ayez vécu ça. Merci de m'en avoir parlé. Je comprends mieux certaines choses.

Un bras finalement, s'appuie derrière lui, Ephraïm s'étend un peu, étire ses fines jambes et bascule la tête pour observer le ciel, la course des nuages, dans ce ciel bordé d'écumes, une part de son âme s'égare au fil de ses vagues. Que dirait son frère s'il avait été avec eux ? … Rien. Il serait resté silencieux, se serait contenté, de son sempiternel sourire.

_ C'était mérité. Personne n'a à vous faire du mal en toute impunité. Personne. Vous n'avez pas piétiné vos efforts : vous avez voulu vous défendre alors qu'on vous avait acculé. Qu'est-ce qu'il aurait mieux valu faire ? Vous taire quitte à prendre le risque de ne pas y survivre ? Vous avez tenté d'en parler, on vous a ignoré, ou vous n'aviez pas la place pour vous exprimer. Un moment, votre corps a agi, pour vous défendre, vous protéger, il n'a probablement pas pensé aux conséquences ultérieures, mais à ce moment précis, vous aviez besoin d'aide, vous aviez besoin de protection, il fallait que quelque chose change.

Il hausse les épaules.

_ Je ne peux pas vraiment dire si c'était la meilleure réaction… Mais à un moment… Quand vous ne pouvez compter que sur vous-même pour vous protéger, on donne tout ce qu'on a, c'est une question de survie. Survie, avant de vivre. Je ne sais pas si ça vous parait clair ?

Ephraïm se rassoit, assis en tailleurs cette fois, il tient ses chevilles.

_ Quand Uriel a… a eu son accident, j'ai eu l'impression que tout partait en morceaux… J'ai eu de la chance de rencontrer des gens capables de compassion… Mais j'ai aussi vu tout un mauvais côté. Je suis petit.

Ses mâchoires se serrent.

_ Je suis un herbivore.

Les mâchoires se serrent encore plus.

_ J'étais premier de la classe. Et je n'avais plus mon grand-frère pour me protéger. Ajoutez à ça mon “sale caractère” comme disent les autres… On m'a emmerdé. Mais ça n'a pas duré longtemps. Je ne sais pas ce qui fait qu'on a fini par me foutre la paix. Peut-être parce que je n'hésite pas à vociférer quand un truc ne me va pas, que j'ai plus de forces qu'on ne pourrait le croire…

Il dévie les yeux.

_ J'avais promis à Uriel de ne frapper personne, après ce qui lui est arrivé. Mais… Maintenant que je réfléchis, j'ai eu de la chance. Crier suffisait, et quand ça ne suffisait pas, des personnes sont intervenues pour me défendre. Des amis que j'ai réussi à me faire, à force.

Il hausse les épaules et tourne les yeux vers Andréa.

_ Si je vous avais connu à cette époque, je ne les aurais pas laissés faire. Vous n'avez jamais mérité ça. Et combien même aurais-je été puni pour ça ou exclu pour ça, tant pis. Un moment, il faut voir ce qui compte pour nous. Si je dois défier l'autorité pour protéger une personne dans le besoin, eh bien, tant pis ! Parce que si je veux m'engager dans la Milice, ce n'est pas pour cautionner ce genre de comportements, c'est pas pour qu'on s'acharne sur les personnes dans le besoin, les plus vulnérables, les herbivores ou j'en passe… C'est pour protéger et pour aider. Enfin, d'un côté, ce n'est pas plus mal que vous ayez réussi à ne pas vous faire virer, au moins vous pouvez changer les choses de l'intérieur maintenant.

Il lui offre un sourire, assez fier à dire vrai, avant de gratter l'arrière de sa nuque.

_ … Ils ont été punis convenablement ces salauds ?

L'insulte lui a échappé. Mais il n'a aucun respect pour les harceleurs. Ils étaient plusieurs, à frapper Uriel… En un contre un, Ephraïm en est persuadé, ils n'auraient eu aucune chance. Ces lâches.

_ Andréa… Si jamais un jour, vous avez besoin d'aide, vous pourrez frapper à ma porte, m'envoyer un message, juste… venir me voir, me faire un signe, le plus facile à faire pour vous. Je vous promets que je vous aiderai. Je ne laisserai personne mal vous traiter devant moi. Et je ne vous lâcherai pas.

Solennel, Ephraïm tend même sa main. Ses yeux, d'un bleu profond, s'unissent aux prunelles du Capitaine.

_ Vos émotions, moi, je suis prêt à les entendre, et je crois que je sais très bien comment les sortir.

Il a un sourire amusé.

_ J'ai trouvé pas mal de petites astuces. Ca ne m'effraie pas. Ca ne me dérange pas. On ne laissera pas le Monde, nous écraser. On a le droit d'exister ! De ressentir et de vivre ! Par exemple, quand je monte le Mont Hurleur, j’imagine que je m’accroche à tous ceux qui m’ont emmerdé, que j’appuie mes semelles sur leur face, pour grimper… Et quand j’arrive en haut… je ne sais pas. Ca me donne l’impression de leur faire un pied de nez : voyez ! Vous n’avez pas réussi à m’arrêter. Vous n’avez pas réussi à me faire tomber.

Sourire fier, alors qu’il hausse les épaules.

Qu’Andréa accepte de serrer ou non sa main, Ephraïm finit par récupérer la tasse qu'il vient de lui servir, en prend une autre gorgée. Lui n'est aucunement dérangé par l'aigreur, il y trouve même un certain plaisir, c'est un peu comme manger des endives.

_ Merci beaucoup en tous cas…

Un sourire sincère adoucit son visage. Bien que contrairement à Uriel, ce sourire a toujours quelque chose de plus sauvage, de plus brutal, peut-être dans les pommettes qui se creusent, les dent qui se dévoilent, les yeux qui se plissent. Les émotions, toujours palpables sur son visage, percutent les yeux qui font l'effort de les voir.

_ Ca me fait beaucoup de bien de parler de tout ça. Et d'apprendre à vous connaître. Ce que vous avez vécu… Ca me parle. Même si je n'ai pas connu les mêmes choses… Je… Au début, mes parents me reprochaient de ne pas être aussi “sage” qu’Uriel. Ephraïm, arrête de crier, arrête de pleurer, arrête de sauter de partout, tu fais trop de bruits, tu nous fais honte, tu vas déranger les autres…

Commence à réciter Ephraïm, presque amusé.

_ J'étais incapable de faire comme lui. De prendre sur moi, de sourire simplement. Ca avait besoin de sortir ! On est entrés en conflit avec mes parents, et ils ont fini par m'emmener chez un psychologue… Apparemment, je tombais en dépression… Mes parents ont alors fait beaucoup d'efforts. Ils ont compris que j'étais comme ça, que mes émotions étaient là : alors ils leur ont laissé de la place. Ils ont appris que m'écouter calmait bien plus vite mes colères, que me forcer à me calmer. Uriel l'avait compris bien avant eux. Il m'avait… Il m'avait énormément aidé quand j'étais jeune. Il était mon exutoire, mon aide, la personne qui écoutait… Je me sentais… libéré. Comme quand je viens ici. Ou comme avec la discussion qu'on vient d'avoir.

Il marque un silence.

_ J'ai conscience de ma chance. Mes parents, par amour pour moi, ont été capables de se remettre en question et de s'adapter à mes besoins. Il y a encore des maladresses, mais ce n'est pas grave, on fait de notre mieux. Et je veux offrir cette chance aux autres.

Ses yeux reviennent dévisager Andréa, et timidement, il pose une main sur son épaule pour la lui serrer.

_ Je suis heureux de vous avoir rencontré. J'apprécie beaucoup votre sens de l'honneur, votre droiture, je vous remercie aussi… de m'avoir partagé tout ça. Votre confiance me touche, et ce que vous avez vécu, ça me… parle vraiment. Vous êtes quelqu'un de bien, vous aussi. Et j’ai à apprendre de vos expériences. Vous aussi, vous avez grimpé bien des montagnes… Je… j’ai beaucoup d’admiration pour vous. Et j’aimerai quand même, réussir des fois, à être un peu plus posé comme vous. Peut-être qu’il faut que je vous apprenne à vous lâcher, et vous, à me poser ! Ca me semble plutôt équitable, qu’est-ce que vous en pensez ?

Ephraïm Kurusu
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