Quinze heure. Tu regardes haut dans le ciel et plisses les yeux devant le soleil. Ce satané soleil qui n'avait pas su pointer le bout de son nez hors des nuages pendant toute la séance photo, mais qui était maintenant omniprésent dans celui-ci depuis que la dite séance était terminée. Ouais, fais le malin ouais. Un sourire malicieux aux lèvres, une femme a le regard jugeur en passant à côté de toi. Tu n'as jamais compris cela d'ailleurs. Les regards mauvais lorsque quelqu'un sourit seul dans la rue. Enfin, tu comprends ce que les passants pensent à ce moment-là, que c'est bizarre, gênant, et tout ce qui s'en suit. Mais toi ce n'est pas ce que tu penses quand tu croises une personne souriant de sa propre compagnie dans la rue. Car cette personne te fait sourire à ton tour, tu te dis que tu aimerais bien toi aussi, être sincèrement heureuse.
Et c'est sur cette pensée que le sourire s'efface, que les yeux pétillants fondent en regard froid. Il te fallait trouver quelque chose à faire, que ce soit écrire, répéter ou recommencer à prendre des photos. Tu te connais, et tu sais qu'en restant seule à laisser s'enchaîner les pensées, tu vas tomber jusqu'à demain au moins dans le noir.
Tu regardes autour de toi, croisant des yeux une boutique de fleur à laquelle tu n'avais jamais fait attention, et tu commences à prendre des clichés des fleurs exposées, de la devanture, tu fais ce que tu sais faire de mieux. Tu joues avec les ombres des fleurs, la lumière du soleil, les vitres de la boutique, pour donner vie à des clichés spontanés. Sans t'être au préalable demandé si le ou la propriétaire en aurait quelque chose à faire. S'ils allaient te tomber dessus ou te regarder avec des yeux doux. Pour l'instant, tu n'as que faire. Ton esprit est occupé à prendre les meilleurs clichés sous les meilleurs angles, c'est tout ce qui compte.
C'est grâce à ça, que tu passes pour une travailleuse unique, qui aime, voir n'aime que travailler. Ceux qui t'entourent ne se rendent pas compte que pour survivre au vide, au gouffre, tu n'as pas tellement le choix. Il te faut jouer des scènes, créer des souvenirs, ou raconter une autre vie. Tout pour penser à autre chose. Éventuellement, à force, on finit par devenir bon, puis très bon en tout, si on s'en donne autant de temps, autant d'efforts, autant de moyens.
Prise d'une envie d'immortaliser la vente qui se passait à l'intérieur du magasin par-derrière la vitre, l'objectif s'arrêta net sur le fleuriste. C'est donc un fleuriste, qui risque de me tomber dessus. Enfin, si je lui achète un bouquet, il devrait pas m'embêter des masses. Tu appuies pour prendre la photo, puis rentres dans la petite boutique. Pour des questions de sécurité, tu demandes brièvement à la cliente si elle est dérangée par le fameux cliché, et elle répond timidement qu'il n'y pas de problèmes en sortant de la boutique, le rouge au joues. Les gens sont facilement touchés d'être pris en photo, réaction qui t'étonne aussi toujours un peu. C'est pas comme si c'était pour elle, et on ne la voyait que de dos. Mais bon si elle est heureuse, tant mieux.
T'approchant d'un pas doux mais avec un regard malicieux, quasiment provocateur, du fleuriste, tu montres de la main l'ensemble de la boutique.

❝ Alors, combien vous dois-je en bouquet pour me servir de ces clichés comme j'en ai envie, blondinet ? ❞

D'humeur taquine, l'ego montre ses griffes. Tu en avais besoin sur le moment, aujourd'hui, pour ne pas t'effondrer. Le pauvre fleuriste allait devoir faire avec cette version de toi têtue et sans pitié, quoique joueuse, s'il est d'un caractère qui te plaît.