Jayson le réalise, lorsqu’il enfile sa veste en cuir.
Elle n’est plus là. Pour lui dire, qu’on ne porte pas de jean dans une galerie, pour lui dire, que le rouge, c’est Sa couleur, à elle.
Elle n’est plus là, pour lui dire, tu es ridicule, pour lui dire, reste à la maison, de toute façon, tu ne sers à rien.
Elle n’est plus là, pour le tenir à l’écart de tout ce qui l’a fait vivre, pour l’arracher de ses racines, pour lui voler, ce qui lui appartient.
Après 3 ans de fermeture, la galerie Wymer ouvre ses portes. Et cette fois, ce n’est pas Agnès qui a décidé de la date, ce n’est pas elle qui a imposé, ce qui serait exposé, ce qu’il sera servi à boire et à manger. Cette fois, Agnès n’est plus là pour commander.
Et cette liberté, Jayson a bien décidé d’en profiter. Les épais rideaux rouges ont été tirés, laissant entrer la lumière. Les allées sont dégagées, il n’y a plus de tapis pour étouffer les pas. Les oeuvres sont accrochées au mur ou suspendues au plafond. Certaines se contemplent, fresque grandiose, s’étirant sur tout un pan de mur, ses parents ont toujours aimé se faire remarquer ! Les scènes représentées sont tirées de fantaisies obscures, un navire affronte la marée, et dans les eaux obscures, sont lovées créatures serpentesques aux milles tentacules, les gueules, armées de crocs, le corps, luminescent, dans la pénombre. Un château ne fait qu’un avec une montagne, sur ses tours aux flancs rocheux efflanqués, veillent d’étranges créatures ailées armées de lances. Parfois, il arrive qu’un paysage reposant, apaise les plus craintifs, telle cette clairière où se repose une licorne au pelage clair, les fleurs printanières, apportent de la couleur au bois épais, et il est possible de discerner quelques fées malicieuses, dissimulées ici et là, dans les recoins de la peinture.
Sa mère était si perchée, dans tous les sens du terme. Elle aimait, l’incroyable, et son père lui, aimait l’emphase. Tous deux aimaient attirer l’attention, s’approprier les univers les plus étranges, réveiller l’enfant au sein de chaque adulte, ou rappeler aux plus jeunes, la puissance de l’imagination. De cette liberté, dont toustes disposaient, pour s’enfuir un peu, d’un monde trop dur, trop triste, pour échapper, à leur plus grand ennemi, l’ennui !
Et dire qu’Agnès avait réussi à le priver de cette liberté.
Maintenant, il l’a retrouvée. Il a enfilé ses baskets, son jean, un t-shirt rouge, une veste en cuir, qu’après une hésitation, il noue autour de ses hanches. Jayson a bien changé, et à la fois, pas tant que ça, pour celleux qui le connaissent.
Ses cheveux bruns sont mouchetés de gris, comme la barbe de quelques jours, qui protège ses mâchoires. Barbillons, d’un hérisson, pour qu’aucune main ne vienne s’égarer le long de son visage et percevoir les cicatrices qui traversent le coin de sa lèvre, ici, sa joue. Une peau tannée, un grand et gros nez, légèrement tordu par les coups reçus. Les arcades sourcilières et les pommettes, bien dessinées, les yeux noirs, bordés de cils qu’il allonge d’un trait de mascara. Jayson applique, sur ses paupières, un peu de brun moucheté d’or, Ashe, son fils, lui dit souvent que ça lui va bien.
Il hésite à couvrir ses bras. Les cicatrices sont anciennes, mais restent visibles. Déchirures, de crocs et de griffes, lacérant les faces extérieures, de ses avant-bras solides, la trace de crochets, ayant transpercé l’espace entre le pouce et l’index, Jayson il a peur, peur des regards inquisiteurs, des questions incisives, de l’instinct prédateur. De cette curiosité malsaine, de mettre son nez là où ça fait mal, de lécher, là où ça saigne, pas pour apaiser, mais pour se satisfaire. Se repaître.
Car la chasse entre animas, n’est pas autorisée, mais Jayson a bien assez vécu pour savoir qu’il y aura toujours des proies. Comme lui l’a été.
Personne ne l’a crû, pendant des années. Sa carrure solide, sa gueule, ne témoignaient pas en sa faveur. Alors qu’Agnès, qu’Agnès et sa blonde chevelure, Agnès et sa peau de porcelaine, un masque mortuaire, pour dissimuler ses plus sombres appétits, ce n’était pas seulement une soif de sang, non, c’était le plaisir de tout détruire.
_ Arrête, Jayson
S’ordonne-t-il. Sa voix, dans le silence, est grave. Grondante. Rassénérante. Elle le rappelle à la réalité, au présent, elle lui rappelle qu’elle est loin, maintenant.
Jayson descend les escaliers et remonte les couloirs, les mains dans le dos, il observe les oeuvres de ses parents. Et leur adresse, un sourire complice, quand il reconnaît sa mère, la baudroie qui nageait à l’envers, dans l’un des tableaux. Il adresse un signe de tête à son père, un lémurien qui bondit d’une oeuvre à une autre, suspendu par les bras ou la queue, ses gros yeux ronds, toujours à la recherche d’un regard à croiser.
Il y a aussi ici, quelques oeuvres que Micheletto a accepté de présenter, des oeuvres toutes en couleurs, qui prennent aux tripes, qui prennent au coeur, Jayson s’arrête un instant pour les contempler. Il est heureux de l’avoir gardé dans sa vie. Tous ces chemins qu’ils ont parcouru ensemble… Ses yeux se ferment à demi, avant qu’il ne reprenne sa marche. Ici, les oeuvres de jeunes, qu’il a voulu encourager ; les styles sont variés et Jayson n’est pas toujours sûr d’avoir compris, ce qu’ils voulaient représenter. Mais au moins, ils ont leur place, pour s’exprimer.
Et enfin, la partie, qu’il s’est réservée.
D’énormes poissons flottent paisiblement au dessus de sa tête, lampions colorés faits de tissus et de papiers. C’est avec Ashe qu’il les a confectionnés. Les animaux produisent un doux tintement, aux mouvements lents de leur corps ondoyant. Il y a des carillons, faits en verre poli, en bois et en coquillage, au chant cristallin. Des tableaux qui se touchent, pour celleux qui ne peuvent se fier à leur vue ou celleux qui, comme lui, aiment simplement le contact. La peinture, s’allie parfois à la matière, ici, une sirène aux écailles souples emplies d’eau, brosse ses cheveux de soie, un oiseau au poitrail doucereux, couve un brasier de feu, dont les cendres, piquent un peu les doigts, son nid est fait de bois de santal. Les odeurs, s’allient, ici, quelques pétales de rose invitent les visiteurs.ses à se reposer, près d’un chevalier allongé auprès d’une rivière, que l’on peut caresser, l’argile, accueille les remous et les doigts curieux. Jayson voulait, que ces mondes soient à portée de toustes, que l’on puisse s’immerger, dans ces lieux extraordinaires. Dont les histoires, dépendent de chacun.e, bien que Jayson veille à ce que les siennes, finissent toujours bien.
Les portes s’ouvrent finalement, on entre, à grand nombre, les Wymer avaient leur réputation. Artistes huluberlus et reconnus, leurs oeuvres ont décoré certains lieux prestigieux. Jayson sourit, heureux de voir que sa liberté profite à d’autres : il suffit de voir les sourires sur les visages, les mains qui touchent, les enfants qui courent dans un rire, les parents qui les portent parfois. Les adultes qui s’attardent ou traversent, se laissent porter par les voyages, les messages, des oeuvres successives.
_ Monsieur Wymer ?
C’est bien lui. Et pourtant, surpris, Jayson sursaute. Il se ressaisit et tend la main, à l’homme qui la lui serre dans un sourire.
_ Veuillez m’excuser, nous avions une question…
Un enfant est près de lui. Il tient la main de son père, de l’autre, colle à son nez un doudou crasseux aux oreilles tombantes. L’enfant frotte son nez contre le tissu.
_ Est-ce qu’il va faire peur le spe-tacle ? Demande l’enfant.
Jayson hésite, mais pose un genou à terre, pour se mettre à sa hauteur. La peur, il la connaît bien.
_Peur ?... Il n’y a rien à craindre, durant ce spectacle. Au début, nous entrerons dans une pièce toute noire, pour écouter les sons de l’océan. Les vagues, les chants des baleines ou des sirènes, les rires des dauphins, les éclaboussures de l’écume. Si tu ouvres bien les yeux, tu verras peut-être la lueur lointaine d’une lamproie ou d’autres animaux mystérieux, puis nous irons dans le ciel, nous entendrons le vent souffler, les oiseaux, chanter et voler, jusqu’à rejoindre la forêt où nous abriter. Il n’y aura peut-être pas beaucoup de lumière, et ça peut faire peur, mais je te promets qu’il n’y a aucun danger. Aucun.
Jayson tapote la tête de l’enfant, puis il se redresse, échange quelques mots avec le père. Puis il reprend sa marche.
Il n’y a aucun danger, ici, aucun.
Car Agnès, n’est plus là.
Jayson Wymer
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Mar 25 Avr - 0:00
dream's escape ft. jayson / avril 2099 Sa mère lui a donné l'adresse, elle a dit que ça lui ferait du bien, va savoir pourquoi. Il ne lui a pas demandé, n'a pas voulu savoir ce qu'elle sous-entendait. Il aurait dû, maintenant qu'il est entré, qu'il jette un œil désintéressé autour de lui, il se demande, ça l'obsède, ce qu'elle voulait dire par-là. Elle a dit qu'il était fatigué, plus que d'habitude, elle a dit vas-y et, ensuite, tu me feras le plaisir de rentrer dormir, tu ressembles à rien. Elle a raison, même dans son costard, il ne ressemble à rien, et il comptait bien rentrer, mais maintenant, pour lui faire plaisir, il doit subir ça. L'art. L'art ça lui file le vertige. Avant même de regarder, bien regarder - ce qu'il ne sait pas faire, il jette un œil, juste pour vérifier que son père n'est pas là, sur les murs. Il n'y ait pas, ça le détend un peu, il va pouvoir faire semblant de s'y intéresser de plus près. Que voulait dire sa mère? Il se demande si c'est parce que c'est différent, si elle pensait qu'il aimerait peut-être un autre genre, un truc comme ça. Va savoir, ça lui donne mal à la tête. Puis, y a du monde et le monde ça le tue. Il regarde, observateur plus que spectateur. Il regarde et ne voit rien. Il est calme, c'est déjà ça, écoute les murmures, s'intéresse de ce qu'autrui a à dire sur ces choses dont il ne perçoit pas le sens, essaye de les comprendre à travers les mots des autres. Peine perdue, au moins, il est calme. Les œuvres trop fantaisistes ou trop colorées lui brûlent la rétine, il va abandonner, dira à sa mère qu'elle avait raison, pour lui faire plaisir. Au moins, il a fait l'effort de s'y rendre, malgré sa réticence, son aversion pour la création. Il est persuadé de ne pas avoir ce qu'il faut, fin, qu'il y a un truc de cassé là-dedans, même s'il préfère se dire que les autres sont fous de tant apprécier ces images qui ne lui parlent pas à lui, force est de constaté qu'il est le seul à ne pas les entendre. C'est pour ça qu'il ne voulait pas venir, c'est pas agréable d'être face à ses lacunes. La chauve-souris, avec ses cernes et son costume en noir et blanc, elle ne lit pas les couleurs. Déjà que Jude a du mal avec les non-dits, toutes ces œuvres, c'est comme des énigmes indéchiffrables. Le vertige, voilà ce que ça lui inspire. Il évite soigneusement celles qui pourraient éveiller quelque chose en lui, quelque chose de trop animal qui lui fait peur. Il se concentre sur ce qu'il ne comprend pas. Pourtant, alors qu'il s'apprête à revenir sur ses pas, un tableau le retient. C'est un peu étrange comme sensation, sans le vouloir il se retrouve planté devant, la nuit, en noir et blanc. C'est étrange parce qu'il a l'habitude des tableaux qui ne se laissent pas contempler, qui rendent les regards ou qui ne veulent pas se laisser dompter. Celui-là ne lui parle pas, mais Jude à l'impression qu'il répond à une question. Il ne sait pas s'il comprend, il y a toujours un truc à comprendre, c'est ce qu'il a appris des longues conversations de sa mère avec ses invité.es. Il y a toujours une pseudo-profondeur, des mots compliqués à mettre sur des images qui le sont plus encore. Il y a forcément un truc, mais Jude ne voit qu'un reflet. Celui-là lui plaît. C'est mélancolique, c'est comme Chopin et ça lui rappelle qu'il peut voler; que la nuit, il sort parfois par la fenêtre pour voir les étoiles de plus prêt. Il reste un temps sans réfléchir, se contentant de regarder, puis il s'en détourne et continue sa balade, curieux de voir si ce tableau est la clé de quelque chose, s'il va s'ouvrir à l'art. Non. Il le regrette presque, mais il est encore moins réceptif. Ses sens sont submergés, il n'arrive pas à poser ses yeux, s'apprête à revenir au tableau, comme à un refuge, mais une conversation l’interpelle. Il se surprend à attendre que l'homme qui, a priori, s'occupe de l'exposition finisse pour pouvoir lui demander -oui, il veut l'acheter, le tableau. Et puis non, il vaut mieux partir. Il fait demi-tour. Où est-ce qu'il le mettrait? Ça le fait sourire d'imaginer cette nuit étoilée dans son appartement en plein milieu de brise-cœur, déjà qu'il y fait tâche avec ses cravates bien serrées. Il s'arrête, il lui faut ce tableau. Il se retourne et l'homme est déjà parti. Il le cherche, prêt à réaliser cette impulsion, il en a besoin. Il l’aperçoit quelques mètres plus loin, ses yeux gris, déterminés, ne le quitte plus. Jude ne sait pas ce qu'il fait mais, une fois arrivé, c'est trop tard. Bonjour Monsieur, Il lui tend la main. J'espère que je ne vous dérange pas, vous êtes le galeriste? Il n'a jamais fait ça. Il n'a jamais acheté une oeuvre, n'a jamais adressé volontairement la parole à un.e galeriste, en dehors de sa mère. Ecoutez, je.. Il y a un tableau, là-bas. Il fait un signe de tête en direction de l'oeuvre, tente un air nonchalant, mais il n'est pas à l'aise. Jude ne quitte pas son interlocuteur des yeux. Je voudrais l'acheter. Et comme sa voix tremble un peu, comme il ne paraît pas sûr de lui, il a besoin d'ajouter Ce n'est pas vraiment dans mes habitudes... L'art, je comprends pas, mais lui, il me plaît. Ça lui fait mal de l'admettre à voix haute, ça lui fait comme quand il a volé Chopin. Il a l'impression de devenir collectionneur, ça prend forme.
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Jayson Wymer
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Mar 9 Mai - 22:02
L'enfant, satisfait, s'éloigne finalement auprès de son père.
Jayson le suit du regard, sourit et s'éloigne de quelques pas. Il sort de sa poche son vieux portable. Son coeur émet un bond, dans sa cage thoracique. Un message reçu, d'Ashe. Comment ça se passe papa ? Ca se passe bien, ne t'inquiète pas, la réponse est conclue par un smiley souriant, qui tire un peu la langue. Papa, c'est pas parce que t'es un chien que tu dois lécher les visiteurs.ses, tu vas les faire fuir !
Jayson secoue légèrement la tête mais n'a pas le temps de répondre, son fils enchaîne - décidément, les jeunes et la technologie !
Tu m'enverras une photo ? Ca nous fera un souvenir. J'essaierai de passer ce soir, après les cours. Je t'aime papa.
Ok pour la photo. Et ne te stresse pas ; si tu ne viens pas ce soir, ce sera pour une autre fois ! J'ai les clefs de la galerie maintenant. Je t'aime Ashe, concentre toi bien sur tes cours cette après-midi.
Après une hésitation, Jayson renvoie le même smiley, auquel Ashe répond par un roulement d'yeux. Jayson glisse son téléphone dans la poche de sa veste et tourne les yeux quand un jeune homme l'approche.
La première chose qu'il voit, c'est sa main. Une peau blafarde, bien plus claire que la sienne. Les doigts révèlent une certaine finesse, accentuée par le dessin saillant des articulations osseuses. Il lève les yeux, découvre ses yeux cernés et les prunelles, d'un gris d'acier. Les pupilles plantées dans les siennes, au début, ont tout d'une lame luisant dans la pénombre au fond d'une ruelle…
Jusqu'à ce que la voix trébuche, un instant soudain, où la froide détermination disparaît, la stupéfaction d'un lapin face à une lampe torche et Jayson se dit qu'il a peut-être vraiment sale gueule, pour déclencher une telle réaction. L'assurance et la menace s'effacent, le temps de quelques syllabes, et la lame qu'il croyait avoir aperçue n'est plus qu'un éclat discret, la fermeture éclair d'un coeur mis à nu.
Alors comme il le sent à la dérive, sa main se referme sur la sienne. L'étreinte est ferme et respectueuse, attentif, il veille à ne pas lui écraser les doigts. Sa propre peau est burinée, l'intérieur est couvert de cornes, les cicatrices sur son derme sont nombreuses, mais il n'y fait plus attention. Ses yeux noirs recueillent tendrement les pupilles égarées, lui offrant un instant le refuge de l'obscurité. Le sourire sur ses lèvres est bienveillant, patient, il attend tranquillement à ce qu'il ait terminé pour le relâcher.
_ Bonjour, ne vous inquiétez pas, vous ne me dérangez pas du tout. Je m'appelle Jayson Wymer, c'est moi qui tiens la galerie en effet !
Il suit son indication du regard.
_ L'acheter ? Oh…
Il est surpris. Il oublie toujours que l'art se vend.
_ Venez, allons le voir de plus près ! Je suis content qu'il vous intéresse ! Ne vous en faites pas, il n'y a aucun mal à ne pas etre habitué comme vous dîtes. A dire vrai… C'est même encore plus extraordinaire de ne pas y être habitué et d'oser se lancer ! Vous pouvez être fier de vous, c'est bien le genre de trucs que je n'aurais pas osé faire.
Encourageant, Jayson lui adresse une oeillade malicieuse.
_ Et ça me fait plaisir que ce soit ce tableau qui vous ait plu. Ce n'est pas vraiment important de comprendre l'art, si vous voulez mon avis. Le fait qu'elle vous parle, à sa manière, c'est le plus important après tout. Parfois, c'est ce qui fait la beauté ou la magie d'un moment, de ne pas pouvoir le comprendre ou l'expliquer.
Jayson approche du tableau.
La nuit noire. Obscure. Engloutit les immeubles. Les fenêtres plongées dans la pénombre, n'offrent guère l'espoir d'une échappatoire : il n'y a que cette rue qui s'étire. Eclairée par la lueur solitaire d'un lampadaire, dont les lumières sont reflétées par une pluie acide. Les pavés luisent, écrasés d'humidité, ils reflètent pourtant courageusement le peu de lumière qu'il reste et loin, loin au dessus de cette scène, la lune est noyée au sein de nuages épais.
Il s'agit d'un des seuls tableaux en noir et blanc. D'un des tableaux qu'il a peints.
La scène qu'il a voulu représenter… Eut été La Fois de Trop.
La fois où Agnès est allée bien trop loin. L'acide qui brûlait sa peau. La fuite dans la rue. La pluie libératrice, ruisselant sur son dos à vif, la chair mise à nue.
Il avait dessiné cette course sans fin sur les pavés glacés, l'eau qui tentait d'apaiser ses souffrances, la lumière affrontant les ténèbres, de cette inconscience qui ne demandait qu'à l'emporter. Il avait crû mourir ce jour là.
Il avait passé tant de temps à l'hôpital après ça. Son corps garderait à jamais les séquelles malgré les greffes de peau. Et parfois, la douleur, les brûlures, se ravivaient.
Qui aurait cru, que ce tableau puisse ainsi toucher quelqu'un ? Qu'il puisse plaire ? Qu'il pourrait renvoyer du positif, assez pour qu'une personne veuille l'avoir chez lui ?
En y pensant, Jayson voit enfin un peu de beauté dans ce tableau. La scène est sereine. Reposante. La tranquillité d'une nuit, seulement troublée par la pluie qui tombe, les gouttes sont une rosée imprégnée d’une lumière apaisante. Le blanc et le gris, offrant un peu de clarté à cette pénombre rassénérante. L’obscurité est cotonneuse, elle entoure et enlace les recoins anguleux, les adoucit et les arrondit. Un peu de clarté se reflète dans une fenêtre, entrouverte, à l'étage. Ouverte, comme pour tous ces jeunes qui font le mur, celleux qui contemplent les étoiles, qui s'endorment, bercés par le son de la pluie, toustes celleux, qui se réfugient au sein de la nuit.
Jayson sourit, effleurant le tableau du bout des doigts.
Il est content de voir qu'Agnès et tout ce qu'elle a fait, que son passé et ses souffrances, ne se voient plus au travers du tableau. Un signe qu'il avance. Qu'il guérit. Qu'il va mieux.
_ … L'art ne se comprend pas vraiment. Car je pense que ses interprétations dépendent des yeux qui le regardent. Enfin peut-être que cela vous évoque quelque chose ?
Demande Jayson, tournant les yeux vers lui.
_ Peut-être un souvenir ou un rêve ? Des fois, c'est juste un sentiment. J'espère juste qu'il vous fait ressentir de bonnes choses.
Sourit l'homme avec douceur. Il en oublie un instant qu'il veut l'acheter et d'ailleurs, ne pense pas immédiatement à préciser le prix. Puis il se souvient et tourne les prunelles vers le tableau.
_ Pour le prix, je vous laisse décider ! Ce que vous donnerez sera donné à une association ! Je n'avais pas prévu de vendre quoi que ce soit en fait mais au cas où, j'en ai mis de coté !
Jayson prend un fascicule de sa poche et le confie à l'homme.
_ La première est une association qui assure la protection des personnes battues par leurs partenaires. Celle-ci est une association pour les LG..TB… Ah non, LGBT+ voilà. Ca, c'est pour des animations au service pédiatrique de l'hôpital ! J'y ai travaillé quelques années ! Et enfin, ça, c'est pour un centre d'hébergement et de réinsertion sociale ! Voilà, n'hésitez pas si vous avez d'autres questions !
Jayson Wymer
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Mar 13 Juin - 0:26
dream's escape ft. jayson / avril 2099 Le gars est sympa. C'est ce que Jude se dit, en le regardant de plus près, parce qu'il n'a pas les manières des gens dont il devait supporter la compagnie gamin, accroché aux jupons de sa mère et déjà l'air morose, déjà blasé. Non, l'homme le surprend, parce qu'il a une bonne tête et que sa bienveillance c'est pas du spectacle, alors Jude se détend. Il n'est pas dans son élément, mais il a comme l'impression d'avoir trouvé une ancre dans cette mer qu'il pensait inabordable. Jude n'offre pas non-plus un sourire, ce serait trop lui demander, mais son visage se détend un peu, cette interaction n'est pas désagréable et ses yeux en témoignent, il a une curiosité dans le regard parce que ce Jayson Wymer lui parle avec des mots qu'il comprend. Pas d'étalage de culture, ni bourrage de crâne, il arrive presque à lui faire croire en l'art. Presque, parce que Jude aime la logique, justement, cette histoire de magie dans l'inexplicable, ça le tourmente - mais, il repense à Chopin, et il se dit que c'est vrai, il ne saurait dire ce qui le pousse à se torturer ainsi avec ce vieux vinyle, avec cette musique qui lui rappelle qu'il n'était pas aimé, qu'il valait moins que l'art et, c'est marrant, son père passait son temps à créer et à admirer, mais Jude n'est-il pas sa création la plus vivante, la plus sanglante? Jude aimerait être contemplé comme ces oeuvres infâmes, cette pensée lui échappe et, déjà, il n'arrive plus à y trouver de sens et l'oublie. Oui, Chopin c'est un peu ça, ce que disait le galeriste, c'est ces instants de calme, où il est seul chez lui et où il se laisse divaguer comme il le fait maintenant, sans pouvoir se l'expliquer. Le tableau fait suite à cette pensée, planté devant, il écoute Wymer d'une oreille attentive et, de l'autre, il écoute Chopin, chez lui, où ce tableau devra être jalousement gardé dans sa chambre, où il pourra le contempler jusqu'à en devenir fou. Des yeux qui le regardent... Il associera les deux, les deux vont bien ensemble, c'est ça le truc. Malgré tout, il ne sait pas trop quoi répondre quand l'autre lui demande ce que le tableau lui évoque, il doit réfléchir un instant, la question lui parait importante, il se plait à chercher la réponse adéquate, à l'intérieur, à des endroits où il ne regarde pas souvent. Cette fenêtre entrouverte, on dirait la mienne. Et, sans réfléchir, il ajoute J'ai toujours une fenêtre ouverte, pour pouvoir m'enfuir. Puis, il regrette ce mot, fuir, mais ça ne sert à rien, on ne peut pas rattraper les mots, alors il continue. Ce tableau c'est déjà, je ne sais pas comment vous le dire sans passer pour un fou, une extension de moi. J'ai mes habitudes et j'aimerais qu'il en fasse parti. Oui, Jude a ses habitudes, immuables, toujours les mêmes. Ce tableau en fait déjà parti, ce tableau c'est déjà lui. C'est moi que je vois, je crois. Il n'est pas sûr. Il pense deviner là ses nuits incolores, l'obscurité qui est en lui depuis toujours, dans laquelle il se sent bien, sa mélancolie et et la mort, aussi. Il se tourne soudainement vers l'homme, Enfin, je dis la mort, mais c'est plus une sensation. Parce que Jude côtoie la mort, elle lui colle à la peau. Il accepte le fascicule et le feuillette d'un air absent, il sait déjà qu'il laissera le choix au galeriste, il a l'air de s'y connaître plus que lui, lui qui est tout le contraire d'un bon samaritain. Oui, j'ai une question.. Qui est l'artiste? Une question pour sa mère, parce qu'elle voudra le savoir. Jude, lui, s'en moque éperdument, il préférerait même ne pas connaître son nom, laisser le mystère intacte et ne rien associer d'autre à cette oeuvre que ce qu'elle lui fait ressentir. Pourtant, il le demande, car il n'a pas envie de mettre fin à cette conversation.
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Jayson Wymer
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Mar 27 Juin - 11:39
Les yeux sombres du jeune homme sont fixés sur lui.
Il sent, cette pression, il l'a connue bien trop de fois menaçante et insidieuse, violente et vicieuse. Mais celle là, est différente, c'est comme une main qui saisit sa manche. Alors Jayson sourit, avec tendresse et bienveillance, bien qu'il se sente un peu gauche, sur ses 2 jambes, les épaules un peu serrées, dans sa veste en cuir. Il est difficile d'estimer l'âge de l'homme à ses côtés. Les traits marqués, les yeux cernés, la gravité de son visage fermé trahissent une maturité presque inquiétante : il semble comme un jean délavé, les yeux vides, aucun sourire, pas de couleur, sur ses joues pâles. Sa voix faible entre ses lèvres, a des relents de tabac que seul son flair aiguisé peut percevoir, à moins que cette aigreur, ne soit seulement celle de son âme ? Et pourtant, il y a cette curiosité enfantine, ce fragment d'innocence, comme un éclat planté en plein coeur. Et ce fragment a quelque chose de tranchant.
Une fenêtre pour pouvoir s'enfuir, s'enfuir, ce mot se plante dans sa propre cage thoracique. Son souffle se retient quelques secondes à la montée soudaine d'adrénaline, à ce mot bien trop lourd de sens, à ce mot qui éveille les souvenirs. S'enfuir, c'est sa fuite et sa solitude qu'il a peints, c'est cet espoir au fond de la ruelle, de ce simple lampadaire à la lueur défiant les ombres funestes. Et alors, le tableau entre ses mains, ne lui paraît que plus lugubre, lorsque l'homme mentionne la mort elle-même.
Jayson sent son coeur se serrer, dans sa cage thoracique. Inquiet, il adresse une œillade au jeune homme et à dire vrai, ses yeux noirs cherchent son regard pour l'étudier longuement.
_ … Il est rare que l'on associe sa personne à la mort, songe Jayson à voix haute, Et plus encore qu'on veuille ce genre de représentation dans sa chambre. Mais il n'y a rien de fou à ça. Peut-être que ça représente quelque chose pour vous, qui vous parle, une part de vous...
Jayson reprend d'une voix douce, d'un murmure.
_ Parfois, une image est plus parlante que des mots.
Et les mots empêchent parfois l'acte. Car Jayson commence à craindre que l'homme n'ait peut-être des pensées bien sombres. Celles, que l'on ne formule pas toujours, bien qu'il arrive parfois, qu'ils soient couchés sur papier, une lettre d'adieu, Jayson en a déjà trouvée. Ashe lèverait sûrement les yeux au ciel, crachant qu'il s'agirait probablement d'un "émo" ou d'un "gothique" ou quelque chose du genre - Jayson n'a jamais vraiment compris la différence et à dire vrai il ne s'y intéresse pas réellement.
Mais ce qui l'inquiète, c'est ce qui peut grouiller sous ce crâne, ce sont ces pensées qui bouffent de l'intérieur. Celles qui bouffent les rêves, les espoirs, qui se nourrissent d'avenir et de vie, qui laissent le coeur, vide, vide, qu'un énorme trou qu'il devient de plus en plus difficile de combler.
_ Une… Sensation ? Reprend-t-il, Comment… Comment est-ce que vous ressentez ça ?
Interroge-t-il avec curiosité. Il ne sait pas vraiment comment demander, bien qu'il l'ait déjà fait tant de fois lorsqu'il était infirmier. Pensez-vous souvent à la mort? Avez vous l'intention de vous suicider ? Avez-vous déjà essayé par le passé ? Avez-vous réfléchi à un plan ?
Jayson essaye de se rassurer, peut-être qu'il est trop inquiet, qu'il se fait trop de soucis, qu'il - non. Il ne faut pas passer à côté de ces signes. Il ne faut pas les ignorer.
La question le surprend, et le fait que Jude ne lève pas les yeux vers lui, lui fait comprendre que la réponse ne l'intéresse probablement pas. Il hésite quelques secondes, intimidé, il gratte le coin de sa mâchoire, glisse ses mains dans son dos, bascule d'un pied sur l'autre. Il se sent lourdaud, il se sent pataud, son humilité veut le pousser à se taire, mais il n'aime pas mentir, il ne faut pas mettre fin à cet échange, pas tant qu'il est sûr que ce gamin ne voudra pas… se faire du mal.
Alors Jayson prend le risque, il fait fi de sa timidité, bien qu'il répond avec une certaine simplicité.
_ Euhm, eh bien… Si c'est important pour vous de savoir, je… Je suis l'artiste. Enfin, artiste… J'ai eu la chance que mes parents m'apprennent leurs techniques, ce n'est pas vraiment un talent inné, seulement de la pratique…
Il ne sait pas vraiment s'il se vante ou s'enfonce, sous le malaise, Jayson grimace.
_ Ouh ça fait vantard ce que je viens de dire, j'en suis désolé…
Il a un sourire penaud et préfère diriger son regard vers le tableau. Ses bras viennent se croiser sur son torse, étirant un peu plus sa veste sur ses épaules solides, il se sent étouffé, il ne sait pas vraiment si c'est une bonne idée. Ses joues d'ailleurs ont légèrement rougi et il passe une main le long de ses mâchoires, avant de reprendre à voix basse.
_ Vous savez, hm… Je sais qu'on ne se connaît pas et je… j'espère ne pas vous créer de malaise ni vous déranger mais je… j'ai juste une question, en fait, plusieurs, et je ne sais pas vraiment comment les exprimer…
Jayson soupire et gratte le coin de sa mâchoire, là où une cicatrice traverse sa joue. Et si Jude est attentif, il remarquera peut-être les nombreuses cicatrices sur ses mains. Blessures, brûlures, les plaies se sont refermées, mais les marques restent.
_ … Lorsque vous m'avez expliqué ce que ce tableau vous faisait ressentir je… J’ai ressenti de l’inquiétude… Vous n'êtes pas obligé de me répondre, à dire vrai, vous pouvez juste m'ignorer mais…
Jayson ne peut pas rester sans rien dire, sans rien faire.
_… Je… Est-ce que vous parlez de vous, de la mort… Est-ce que vous pensez… à votre mort ? A mourir ?
Demande honnêtement Jayson.
_ Si vous ne voulez pas me répondre, je comprendrai, je n'insisterai pas. Mais si… Si jamais vous voulez en discuter, je suis prêt à vous écouter ou je peux vous donner le numéro de personnes à appeler, je… Votre vie et ce que vous pouvez ressentir comptent.
Jayson sourit. Avec douceur. Bienveillance. Encouragement. Avant de détourner les yeux vers le tableau. Il n'ose pas insister davantage, pas avant d'avoir eu une réponse claire de la part du jeune homme.
_ En tous cas, je suis heureux de vous voir ici aujourd'hui. Que ce tableau vous plaise et qu'il puisse accompagner votre quotidien. Maintenant, il représente… quelque chose pour quelqu'un, une échappatoire, peut-être l'expression de quelque chose qu'il est difficile de nommer et… ça me fait plaisir. Qu’est-ce que vous… fuyez, par cette fenêtre ?
Trouvait-il la paix et la sérénité ? Il est probablement inquisiteur, il n'est pas un chien pour rien, à toujours mettre son nez où il ne faut pas. Il faut dire qu’il ne parvient pas totalement à oublier son passé d’infirmier.
_ E-Excusez moi si j’ai pu faire d’une curiosité déplacée, je… C’est que parfois, on peut passer à côté de certaines choses, et je crois que je préfère être intrusif qu’ignorer certains signes. Dans le meilleur des cas, cela peut aider quelqu’un, et dans le pire… Je passe pour un mec bizarre qui fait fuir les visiteurs…
Jayson laisse échapper un rire bref, proche d’un aboiement. Mais, gêné, il baisse légèrement les yeux. Une main de Jayson frotte nerveusement son autre bras. Le geste remonte légèrement la manche, dévoilant sa peau. Marquée.
Profondes cicatrices, les anciennes griffures ont abandonné dans sa chair, les tranchées d’une guerre qu’il n’est pas sûr d’avoir gagnée. Ici et là, sont creusées de profonds impacts, Agnès avait pris la mauvaise habitude d’écraser ses cigarettes sur son derme, abandonnant trous et crevasses, que le temps n’a pas suffit à reboucher. Il est le survivant d’un affrontement qui a duré des années ; la mort, il l’a eue à ses trousses et finalement, il l’a semée.