Sous une pluie d’hiver
avec Lys Ross
Un jour Gabriel a entendu dire que les temps pluvieux étaient les meilleurs pour se poser avec un livre et une tasse de thé bien chaude. C’est certainement ce qu’il aurait fait aujourd’hui. La pluie tombe à verse depuis le début de matinée, le vent rend l’humidité désagréable. Il n’a jamais aimé les pluies d’hiver, il les préfère en été lorsqu’elles viennent rafraichir l’herbe desséché par le soleil. Mais peu importe, car aujourd’hui est le jour que sa collègue attend depuis des semaines, le salon du livre. Un grand regroupement ou se retrouve, le temps d’un weekend, libraires et lecteurs, mais aussi plusieurs familles venues occuper ce dimanche bien à l’abri de la pluie glaciale, et pourquoi pas se poser quelque instant aux stands de nourriture placés un peu partout dans le salon ? Ce genre de salon est une bénédiction pour beaucoup de commerçants, pas que pour les libraires. On y retrouve des stands de livres, évidemment, mais aussi des auteurs en vogue venus dédicacer leurs œuvres, des enseignes connues de restaurant ou pâtisserie et même des stands de goodies. Tout ça dans un seul et grand bâtiment. Une chose est sûre, si c’est le weekend préféré de sa collègue, c’est celui que Gabriel déteste le plus dans l’année, chaque année il l’appréhende, trop de monde, bien plus que ce qu’il y a habituellement dans sa petite librairie de quartier. Dans la foule, il ne se sent pas à sa place, ses sens sont surchargés de tous les côtés, trop de bruit, trop d’interactions, trop de tout et pas assez d’endroit où se réfugier le temps de souffler un peu.
Oh il avait bien essayé de se faire tout petit, allant même jusqu’à choisir des vêtements se fondant dans le décor, là où sa collègue avait mis une de ses fameuses robes flashy. Lui avait opté pour un pantalon fuseau noir, une chemise blanche et un gilet gris, ainsi que son éternelle parka beige, il avait même détaché ses cheveux pour masquer un peu son visage, espérant passer inaperçu et rester dans l’ombre de sa collègue. Autant le dire tout de suite, c’était un échec cuisant et beaucoup trop de monde avait eu l’idée de lui adresser la parole.
Entre lui et sa collègue, on ne pouvait pas faire plus différents. Mais pourtant, après plusieurs années, ces deux-là étaient devenus de bons amis.
« Oh allé Gab, décoince-toi un peu ! C’est qu’un seul weekend dans l’année ! »Il sait que ça n’est pas méchant, sa collègue le taquine souvent, mais elle ne cherche pas à le changer. Souvent elle fait la conversation à elle toute seule, cela fait bien longtemps qu’elle n’attend plus de réponse, mais cela ne l’empêche pas de bavarder à longueur de journée, comme un long monologue. Elle ne s’offusque jamais de ne pas avoir de réponse, il ne lui en donne généralement pas de toute façon.
Avec les années il avait appris à apprécier sa présence et surtout ses bavardages à sens unique. Souvent centrés sur les livres, rarement sur les potins, bien que parfois elle lui parle de ce beau brun sur qui elle a flashé depuis la primaire. Parfois elle fait un commentaire ou deux sur les clients ou lui envoie une petite boutade comme à l’instant.
Il regarde l’heure, plus qu’une petite heure et il pourra retrouver le cocon de son petit studio ; juste une toute petite heure qui lui parait être une éternité. Vous savez, comme cette dernière heure de cours avant de rentrer enfin chez soi, celle ou une minute en semble dix. Eh bien là c’est exactement pareil. Les minutes semblent extensibles et le temps ne passe pas.
« Dit Gab, tu veux bien allez nous chercher des pâtisseries ? On a rien mangé depuis midi, j’ai faim ! »Elle avait allongé le mot « faim » comme un enfant impatient, un mot si court prononcé si longuement. Encore une fois il ne lui répond pas, ou plutôt il n’utilise pas de mots pour le faire, il se contente de prendre sa parka dans laquelle se trouve son portemonnaie et de quitter le stand à la recherche de ce qui pourrait bien être le saint grâle pour l’estomac de sa collègue.
Très vite il tombe sur une des pâtisseries présentes au salon. Il regarde la vitrine, les stocks sont déjà bien écoulés, quoi de plus normal a une heure de la fin du salon ? Il jette un rapide coup d’œil à la personne derrière la vitrine et remarque une cicatrice ainsi que les nombreux piercings aux oreilles, dans une autre vie ça aurait pu être le chevalier servant dont parle constamment sa collègue, à quelques détails près que cet homme est roux et non brun. Très vite il regarde à nouveau les pâtisseries, il n’aime pas dévisager les gens, cela attire le regard de son interlocuteur et provoque souvent une discussion. Après quelque instant d’hésitation il finit par demander, les yeux plus protée sur la vitrine que sur son interlocuteur :
« Bonjour… Un paris-brest et un éclaire à la vanille, s’il vous plait. »Il avait dit cette phrase de sa voix faible, cristalline, presque timide, si bien que certaines personnes ont parfois du mal à l’entendre. Comme si les mots restaient bloqués dans sa gorge. Pour se donner de la constance et essayer d’effacer son malaise il sort le porte-monnaie de sa poche…