Nikolaï est affairé.
Debout, un frisottis de toison brune dépasse du troisième bouton ouvert de sa chemise. Il a les sourcils froncés sur le patchwork des images et des articles épinglés à l’horizontale sur la tableau par des punaises vermillon. Avec le bout de la semelle, il tapote le parquet, s’agite nerveusement, une main enfoncée aux racines d’une tignasse en vrac et la seconde dans la poche d’un froc en lin beige. Les lèvres crevassées par le froid remuent dans des marmonnements indistincts.

Le tintement de la notification de son rendez-vous interrompt la sale manie de croquer dans l’ongle du pouce. Il est bientôt sept heure et Brise-Cœur s’anime dans les ombres grandissantes des réverbères dehors. Il est bientôt sept heure et Nikolaï reçoit.

Il laisse tomber la ligne éditoriale et marche à pas amples vers le lavabo en céramique fendue dans le chiotte adjacent à son bureau pour laver à grandes eaux la fatigue lancinante de cette fin de semaine et les taches d’encre mystérieusement apparues à la pointe de son nez. Le miroir lui jette en travers de la gueule son air de jeune vieilli, c’est les cernes, toujours les cernes, et son réflexe de crisper un sourire imbécile face à son reflet.

Il est bientôt sept heure et Nikolaï a posé le dictaphone sur le bureau, frappé les coussins du fauteuil en velours vert bouteille pour en soulever la poussière et ouvert une nouvelle carafe de gin au-dessus de deux verres de cristal.

Ca lui fait plaisir comme visite.
C’est pas tous les jours qu’il peut interviewer.
C’est pas tout le temps qu’on fait des choses qu’on aime au travail.
Il a potassé son sujet. Pour ça, un tas de paperasse imprimé, de photos collectées, de diplômées et certificats récoltés, le tout relié par un trombone et affublé d’un post-it jaune vif portant l’inscription Su-Ho Yun.

C’est l’assistant, Emile, qui fait rentrer le gars.
Emile, il est petit et rond, avec ses pieds qui frôlent le sol, Nikolaï sait tout de suite qu’il monte les escaliers qui donne sur ses appartements. Alors il se lève de son siège, le sourire affable, une main ferme tendue par dessus le bureau.

« Su-Ho Yun ! Quel plaisir et quelle chance de finalement vous parler de vive voix ! Asseyez-vous, je vous sers. »

Et surtout, Nikolaï se sert au passage.
Les pieds des assises raclent, et l’ours brun se fend d’un rire grave pour ravaler la salive qui menace d’écumer des babines. Vite, il lève le verre et l’entrechoque dans celui de l’autre pour avaler une lampée amère.

« Je dois vous avouer que j’ai fait mon job ces dernières semaines et… j’ai fouiné. Alors, permettez-moi, je suis bluffé par votre carrière. C’est quelque chose d’être diplomate, c’est autre chose d’être brillant, irréprochable et diplomate. »

Nikolaï il a déjà vidé son verre.
Ca le requinque et il faut qu’il se redresse pour occuper l’espace avec son corps, lever et baisser les bras pour étayer son propos. Ses yeux jais s’arrêtent tantôt sur les plinthes abîmées par les rats qu'il maudit, tantôt sur les iris brunes du renard.

« C’est pour ça que… Si ça vous convient. Je veux qu’on raconte une autre histoire pour mon journal. Je veux raconter aux gens plus que la brillante carrière de Mr. Yun. Je veux leur parler d’un anima dans lequel ils vont se reconnaître pour lequel ils vont éprouver plus que de l’admiration : de l’émotion. » la voix, le cœur, les yeux s’emballent et son poing se serre en l'air comme pour saisir cet ordinaire intime qu’il évoque. Il retombe le cul dans le fauteuil et expire bruyamment les coudes plantées dans le bois, son regard pétillant d'intérêt rivé sur son intelorcuteur. « Qu’en dites-vous Su-Ho ? »