Chapitre 2 - Yui 05.04.1868
Deux semaines passées sur cette île maudite et Yui se sent revivre. Loin de tout mais surtout loin des Hommes ; bourreaux d’une vie. Les centaines d’êtres déboussolés sont désormais sa nouvelle vie, sa nouvelle famille.
Comme il est étrange d’apercevoir enfin le doux visage de son voisin de cellule.
Comme il est étrange de mettre un nom sur un cri, un sourire sur des pleurs.
Des centaines de personnes qui comme elle sont nées hommes et femmes, qui comme elle mourront Anima.
Mais Yui a toujours détesté sa vie d’avant, des lointains souvenirs de Chine jusqu’à ses premiers pas sur le sol anglais. L’Angleterre, elle l’a détestée dès le premier jour, dès la première seconde ; dès le premier regard haineux qu’on lui lança à sa descente du bateau alors qu’elle n’avait que 13 ans.
Étrangère.
L’est-elle encore ? Certainement pas. Car ces premiers pas sur cette île, la tigresse les a appréciés plus qu’elle ne l’aurait jamais espéré.
Quelques visages familiers l’entourent, il faut prendre des décisions, ne pas se retourner – attendre les pieds dans l’eau comme le fond certains, naïvement persuadés que l’on reviendra les chercher.
Mais Yui n’est pas naïve, Yui à le cœur endurci par la cruauté des hommes, endurci par les regards trop longtemps posés sur sa gracile silhouette, les mains baladeuses. Mais elle n’a jamais demandé à être belle oh non, Yui voulait être
forte.
Les dents s’allongent pour former des crocs, ses nouvelles griffes transpercent la chaire.
C’est chose faite.
Les décisions, elle les prend. Parle fort et invite sa nouvelle famille à avancer plus loin encore dans cette terre inconnue. Ils ont dans un premier temps croisé des décombres, vestige de la tentative de construire un village au bord de l’eau. Des chantiers vites abandonnés si l’on en croit les murs à peine terminés, déjà effondrés. Mais s’il faut rebâtir, Yui préfère autant ne pas partir de rien.
Et ils ont avancé, encore avancé. Au loin, d’impressionnantes montagnes enneigées, ils ne s’y sont pas encore risqués, préférant s’installer proche d’une immense forêt, de grans champs ne demandant qu’à être labourés.
Si la tigresse n’y connait rien en agriculture, elle s’y connait en belles paroles, en autorité. Beau visage de marbre, ont la suit sans hésitation, on l’écoute sans interrompre. Yui n’a plus un instant maudit sa somptueuse beauté.
Les leaders se démarquent entre milles questions sans réponses, alors Yui observe, Yui retient.
Isham et son regard plus sombre que les ténèbres eux-mêmes.
Elizabeth et sa bonté inégalable, au rire enchantant.
Des groupes se sont formé et il a fallut construire, reconstruire. Labourer les champs, semer les graines laissées là à l’abandon. Explorer la forêt, se risquer jusqu’aux sommets des montagnes.
Écouter les peines et rassurer les cœurs. Mais ça, Yui le laissa volontiers à Elizabeth.
Une arme à la main, bien vite délaissée sur l’herbe verte ; Yui n’a plus besoin de ça. Les griffes s’allongent, les vêtements se déchirent sur sa peau tigrée. Yui a faim,
il est grand temps d’aller chasser.